Le cimetière public de la Tsiémé à l'abandon

Mardi 5 Novembre 2013 - 13:30

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À l’occasion de la Toussaint, célébrée le 1er novembre en mémoire des morts, nous nous sommes rendus au cimetière de la Tsiémé pour assister à la cérémonie officielle de dépôt de gerbes de fleurs à laquelle le ministre chargé des voies navigables et de l’économie fluviale, Gilbert Mokoki, représentait le gouvernement. Nous avons pu constater l’état dans lequel se trouve actuellement le cimetière de la Tsiémé

Le spectacle est désolant : le cimetière est devenu une vaste étendue à l’abandon, un lieu dangereux aux mains des gangs où se pratiquent au vu et au su de tout le monde des méfaits de toute sorte (trafic, viols, etc.). Des maisons d’habitations, des églises, des bistrots s’y installent chaque jour, dans l’indifférence générale.

Sur les terrains de football qui occupent les lieux, des adolescents se livraient sans gêne, en ce jour de Fête des morts, à leur sport, alors que des familles cherchaient sans espoir les tombes de leurs parents disparus. Interrogés, certains jeunes ont répondu sans vergogne qu’en l’absence d’espaces verts dans la ville, ils s’étaient appropriés le cimetière, demandant aux familles de déménager les tombes de leurs parents sous peine que tout disparaisse dans les deux ans.

Autre fait macabre, les riverains viennent se ravitailler en sable pour leurs travaux de construction. Que leur importe si, en soulevant une pelletée, ils y trouvent des ossements humains ! Aurions-nous perdu toute notion du sacré, du respect aux morts ?

Le long du mur érigé pour « protéger » le cimetière s’amoncellent des ordures, malgré les panneaux d’interdiction posés par la mairie de l’arrondissement 6, Talangaï. Les riverains expliquent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de jeter leurs déchets dans le cimetière puisqu'ils ne disposent pas de bacs à ordures.

Face à cette situation, choquante sinon alarmante, les citoyens de Brazzaville que nous avons rencontrés sur les lieux demandent à l’État et en particulier aux autorités municipales de prendre leurs responsabilités.

Ainsi, Victor Tomanitou, venu déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de son père qu’il n’a pas retrouvée, explique : « Jusque dans les années 1980, le cimetière de la Tsiémé n’était pas comme ça. Aujourd’hui, c’est du n’importe quoi dans ce cimetière. Il est devenu difficile de retrouver la tombe d’un parent. Moi, par exemple, depuis que je suis arrivé, je n’ai toujours pas retrouvé la tombe de mon père. Comment la retrouver si les gens construisent des habitations, des hôtels, des églises, des terrains de football ? Ils font même leurs besoins dans ce cimetière ! L’État doit se préoccuper de cet espace au lieu de le laisser dans cet état d’abandon. Il doit réagir. »

Le ministre Gilbert Mokoki, présent à la cérémonie, a déclaré que l’État avait fermé ce cimetière, mais qu’une partie des tombes s’y trouvant encore, il était normal d’y rendre hommage aux défunts.

« Normalement, il ne devait plus y avoir de tombes ici, puisque le cimetière est fermé. Cela explique son état d’abandon. L’entretien des tombes certes est une tâche de la mairie, mais aussi des parents qui doivent y contribuer. Si les tombes ne sont pas déplacées, c’est sans doute parce qu’il n’y a pas de parents qui s’en occupent. Comme c’est une tâche de la mairie, on en prend note », a-t-il expliqué.

Quant à sa spoliation, le ministre a indiqué : « Non ! Ce n’est pas une impuissance de l’État, je vous ai dit que ce cimetière était fermé, et s’il est fermé, cela veut dire que normalement il ne doit plus y avoir de tombes. Cela ne veut pas dire qu’on a le droit de le spolier, mais qu’on devrait déplacer ces tombes. C’est le devoir des parents. Les tombes de mes parents et de mes amis enterrés ici ont été déplacées. »

Quant à sa spoliation, le ministre n’a pas reconnu l’impuissance de l’Etat. « Non ! Ce n’est pas une impuissance de l’Etat, je vous ai dit que ce cimetière est fermé, et s’il est fermé cela veut dire que normalement on ne doit plus avoir des tombes. Cela ne veut pas non plus dire qu’il mérite d’être spolier, mais plutôt qu’on devrait déplacer ces tombes. Ça c’est le devoir des parents. J’ai des parents, des amis qui ont été enterrés ici mais pour lesquels les tombes ont été déplacées.»

Le cimetière public d’Itatolo transformé en terrain vague

À moins d’une dizaine de kilomètres du cimetière de la Tsiémé, celui d’Itatolo est également abandonné depuis sa fermeture officielle. Il suffit de se rendre sur la route nationale n°2 pour se faire une idée de ce qu’est devenu ce lieu où reposent de nombreux Congolais décédés.

À Itatolo, les familles ont elles aussi bien des difficultés à retrouver les tombes de leurs parents. Selon elles, la responsabilité d'assainir les lieux publics incombe à l’État, précisément à la mairie d’arrondissement 9, Djiri.

La maire de cet arrondissement, Ida Victorine Gampolo, a souligné que l’entretien du cimetière d’Itatolo ne relevait plus de la compétence de son entité administrative, qui rencontre par ailleurs d’énormes difficultés à assainir les quartiers. Elle est également revenue sur l’importance des morts dans les familles.

« Est-ce vraiment cela les regrets éternels ? Il ne faut pas attendre le 1er novembre pour rendre hommage à ses parents. Chacun a ses convictions : pour certains, il faut laisser les morts enterrer les morts, mais cela ne signifie pas qu’il faut les oublier définitivement. L’état dans lequel se trouve ce cimetière est vraiment regrettable. Hier, j’étais en centre-ville : c’est la même chose, les malades mentaux dorment maintenant dans le cimetière du centre-ville », a-t-elle déploré.

Interrogé sur l’état du cimetière d’Itatolo, le ministre Josué Rodrigue Ngouonimba en appelle au sens des responsabilités de chacun : « Ce n’est pas uniquement l’affaire du gouvernement, c’est une affaire qui concerne tous les concitoyens, tous les citoyens de Brazzaville. »

Force est de constater que les cimetières privés qui se trouvent à proximité sont bien entretenus. Il suffit de s’adresser aux responsables pour obtenir le numéro de la tombe de son parent. Pourquoi cela ne peut-il pas être le cas des cimetières publics ?

Enquête de Bruno Okokana & Parfait Wilfried Ndouniama

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Des habitations en plein cimetière. Photo 2 : Les jeunes adolescents pratiquant le football dans le cimetière. Photo 3 : Une tombe à Itatolo, perdue dans l'herbe. Photo 4 : Un cimetière privé bien entretenu dans la zone d’Itatolo. (© DR)