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Le Congo des abus ?

Lundi 9 Juin 2014 - 2:22

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Le Congo est un joli nom qui provient d’un royaume apparu au XIVe siècle découvert par les Portugais, qui s’y établirent et transformèrent la capitale, Mbanza Kongo, en une ville aux allures européennes, San Salvador, d’au moins 40 000 habitants, où il faisait bon vivre. Les prétentions du Portugal sur ce littoral, longtemps contestées par plusieurs puissances européennes, furent définitivement réglées en 1884-1885, au cours de la Conférence africaine de Berlin qui répartissait la région du Congo entre la France, le Portugal et l’Association internationale africaine, propriété personnelle de Léopold II, roi des Belges, entraînant la formation au XIXe siècle de deux colonies, le Congo belge et le Congo français, avec des tempéraments et réalités différents qui en firent des États à part entière.

Les déplacements entre ces deux pays, simplifiés auparavant à l’extrême, sont à présent soumis à des conditions rigoureuses, Brazzaville exigeant que les ressortissants de RDC désirant traverser le fleuve soient munis de passeports, et Kinshasa, réponse du berger à la bergère, imposant un visa aux ressortissants de la République du Congo. Personne n’est épargné dans cette surenchère qui grippe considérablement les relations historiques et fraternelles entre deux pays dont les us et coutumes similaires n’ont de pareil sur toute la planète.

La frontière entre ces deux États, de 2 410 kilomètres, a comme particularité d’être la plus longue frontière fluviale au monde, mais aussi la quinzième frontière terrestre internationale par la longueur, et la deuxième sur le continent africain. C’est un tracé qui reste mal connu pour n’avoir jamais été fixé de manière linéaire. On comprend donc très bien la difficulté des deux Congo quant à la régulation des entrées et sorties. Le tracé n’a depuis lors jamais fait l’objet de contestation, ni de contentieux devant la Cour internationale de justice, même s’il est avéré que les conflits intérieurs et extérieurs connus par les deux pays sont également à l’origine de déplacements de réfugiés, ainsi que de mouvements de combattants et d’armes.

On retrouve de part et d’autre de ces pays des groupes ethniques liés par une même culture, tels les Ngala à hauteur du confluent entre le Congo et l’Oubangui, les Téké sur le cours moyen du fleuve Congo, et aussi les Kongo dans les provinces du Bandundu et du Bas-Congo, etc. Ce qui se traduit par une grande communauté linguistique, dont les composantes ont développé des spécificités. Ce théâtre est naturellement devenu l’objet d’incidents frontaliers sur certaines îles fluviales, comme sous la guerre froide, la RD-Congo, alors Zaïre, étant sous influence occidentale, tandis que la République populaire du Congo était sous influence militaire soviétique et cubaine. Expulsions de ressortissants du Congo-Brazzaville par Moïse Tshombé, alors Premier ministre du Congo-Léopoldville dans les années 1960, qui aboutissent à une rupture diplomatique, à l’intervention de soldats zaïrois faisant des victimes sur l’île Mbamou en avril 1976, à des tensions en 1997 au cours de la guerre civile à Brazzaville où des troupes de Kinshasa traversent le fleuve pour mettre fin, selon les autorités, à des tirs d’artillerie visant Kinshasa, etc. Bref, les conflits sont facilement imaginables avec ce genre de configuration géographique exceptionnelle. Il faut que l’on soit indulgent de part et d’autre quant aux solutions préconisées et prises pour les contenir.

Selon des sources officielles, depuis début avril, les ressortissants de RDC qui ont quitté le Congo-Brazzaville suite à l’opération de police à l’encontre des immigrés clandestins, dénommée mbata ya mokolo, ont déjà dépassé les 122 500 personnes. Il faut se souvenir que des estimations fiables faisaient ressortir que 10 à 25% de la population de Brazzaville était originaire du Congo-Kinshasa, et cela s’illustrait fort bien par un exemple simple : les troubles de 2009 dans la province de l’Équateur provoquèrent à eux seuls la traversée d’environ 115 000 personnes. On déplore aujourd’hui ça et là les conditions d’expulsion et on évoque le non-respect des droits de l’homme. Sans doute la soudaineté fut-elle à l’origine de ces nombreuses contestations, mais Brazzaville a tenu à exprimer son exaspération d’une vague de criminalité qu’elle ne pouvait plus contenir depuis des décennies, mais aussi d’un flux migratoire qui nécessitait une régularisation.

Il faut également reconnaître que la pression migratoire le long de la frontière peut être la résultante de disparités économiques entre les deux pays, les revenus générés par l’extraction pétrolière en République du Congo la plaçant parmi les pays les plus riches d’Afrique subsaharienne, tandis que la RD-Congo surpeuplée se retrouve parmi les derniers, avec l’équivalant de 330 dollars par habitant. Mais est-ce suffisant pour tolérer de tels abus ?

Ferréol-Constant-Patrick Gassackys

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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