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Le métissage culturel

Samedi 23 Juin 2018 - 19:07

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Nous déployant trente-cinq ans en arrière, il nous a semblé éclairant de nous rappeler une communication ô combien prophétique  à l’Académie des sciences morales et politiques de Paris, par  Léopold Sedar Senghor, sur la culture africaine en 1983 qui rapportait en substance ceci : « Les biologistes actuels, s’appuyant sur la caractérologie et les tableaux numériques des groupes sanguins, concluent à l’unité culturelle du continent dit "noir" ». Ce que confirme l’étude comparée des arts traditionnels africains et de la philosophie africaine.

Pour les Grecs, créateurs de la philosophie européenne, la philosophie consiste en la recherche de la Sophia ou sagesse, "connaissance des premières causes et des principes des êtres", étant entendu que Dieu est, au-delà de la matière, "cause première et fin ultime".

 Les Africains ne posent pas autrement le problème, si ce n’est que Dieu est, plus encore que l’Intelligence, la "Force des forces" qui anime la vie de l’univers.

C’est en imitant Dieu, en animant la vie cachée sous les signes sensibles du monde, que l’art africain remplit son rôle. En témoignent la poésie, la musique et la sculpture qui répondent à la définition de l’art africain : "une image ou un ensemble d’images symboliques, mélodieuses et rythmées". Depuis Bergson et la réhabilitation de la raison intuitive, le dialogue des cultures s’est engagé, et la civilisation de l’Universel a commencé de s’édifier, où l’Afrique joue un rôle essentiel et déterminant.

Il fait naturellement référence, dans cette communication, à cette prétendue  "Civilisation de l’Universel " annoncée par Pierre Teilhard de Chardin, qui serait composée des apports, complémentaires, de tous les continents et de toutes les races, sinon de toutes les nations en promettant, à l’instar d’Aimé Césaire, que « les Africains ne viendront pas les mains vides car ils apportent, ils ont déjà commencé d’apporter leur culture » au grand rendez-vous du donner et du recevoir.

Mais qu’est-ce que la culture ?

En sa qualité d’enseignant, il la définissait comme « l’esprit d’une civilisation » et  complétait cette définition en la qualifiant  comme "l’ensemble des valeurs de création d’une civilisation".

Le métissage culturel auquel il est fait ici allusion désigne sans nul doute le mélange d'influences culturelles diverses, par exemple dans le domaine musical, pictural, sculptural, vestimentaire, etc., mais  il est souvent associé à un métissage linguistique. 

N’a-t-on pas constaté que les peuples, gènes et cultures, se mélangent depuis la préhistoire ?

L’anthropologue américain Alfred L. Kroeber considérait que toutes les cultures avaient une vocation à se mélanger « presque sans limite » mais pour N Journet, la notion de métissage culturel ne  serait qu’un concept du XIXe siècle, né d'une interrogation profonde sur l’opportunité ou non du « mélange des sangs ». Cette théorie, comme on peut l’imaginer, a fait couler beaucoup d’encre et de salive et indifféremment selon que l’on épousait  une théorie ou l’autre.

De manière générale et éclairée, nous pouvons affirmer, à l’épreuve du temps, que le métissage culturel doit être considéré comme une vraie source de créativité reflétant l'identité et partant, le processus civilisationnel.

Il n’est pas ici fait spécifiquement allusion à un brassage génétique l’exemple en musique le démontre au travers des différents genres Rap, Raï ou jazz métissé qui par excellence métissés contribuent au métissage culturel.

On pourrait conclure que toute culture est métissée, même si chaque ensemble est marqué par des dominantes culturelles. La langue française en est une parfaite illustration car, constituée en grande partie de racines grecques, latines, celtes, etc.

Le métissage culturel doit être volontaire dans la perspective où chaque culture peut être respectueuse des autres et où l'enchevêtrement des cultures est issu de choix consciemment effectués, en fonction de goûts et d'attirances libres pour des cultures initialement « étrangères ».  Il est certain qu’un certain métissage culturel s’est effectué inconsciemment, ce qui fait dire à certains auteurs qu'un métissage "génétique" a préexisté à la naissance de l'individu , mais il faut aussi reconnaître qu’une idéologie du métissage s'est développée  et  s’est profondément ancrée dans nos sociétés pour donner raison à Senghor lorsqu’il évoquait la "Civilisation de  l’Universel".

Ferréol Gassackys

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Édition Quotidienne (DB)

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