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Le pape François face à la Curie

Lundi 16 Septembre 2019 - 11:56

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Les propos tenus mardi dernier par le souverain pontife dans l'avion qui le ramenait à Rome après sa visite en Afrique australe sonnent comme un avertissement pour ceux qui, au sein de la plus haute instance de l'Eglise catholique, s'opposent à lui de plus en plus nettement. Evoquant le "schisme" qui pourrait se produire avec la tendance ultra-conservatrice de l'église américaine, le pape n'a pas hésité à dire qu'il ne craint pas une telle rupture et qu'il poursuivra sans faillir les réformes engagées depuis le début de son pontificat. Il a donc mis en garde les tenants de la "rigidité" que prônent les idéologues chrétiens et qui risque de conduire des fidèles de plus en plus nombreux à quitter l'Eglise.

Au-delà de la prise de position du pape sur le "schisme dans l'église américaine", affichée de façon ostensible et relayée aussitôt par les médias du monde entier, ce qui est en jeu n'est pas autre chose que la modernisation de l'Eglise catholique dans des domaines aussi sensibles que le célibat des prêtres, la place et le rôle des femmes dans la hiérarchie catholique, les règles ecclésiales pour les couples divorcés, la gestion des finances du Vatican. Avec, en toile de fond, un problème majeur qui est celui du contrôle des plus hautes instances de l'Eglise par l'épiscopat européen en général, italien en particulier, dont une partie s'oppose plus ou moins ouvertement à tout changement dans ces domaines.

Premier pape venu du tiers-monde - l'Argentine -, membre de la Compagnie de Jésus qui a toujours été présente sur les cinq continents et qui a de ce fait une vision très ouverte du monde, le pape François savait, avant même son élection au Trône de Pierre, qu'il se heurterait à coup sûr au mur édifié depuis des siècles par la Curie dont le siège est situé à Rome, en plein coeur de la Cité du Vatican. Ayant été et demeurant proche de son prédécesseur, Benoît XVI, qui s'est précisément retiré en 2013 afin de recouvrer sa liberté, il savait parfaitement ce qui l'attendait dès lors qu'il serait adoubé par ses pairs. Ce qui se passe aujourd'hui n'a donc rien de surprenant et l'on peut être certain que le pape François, qui a prouvé sa ténacité en maintes circonstances, ira jusqu'au bout de sa volonté affichée de moderniser l'Eglise, quitte à devoir se retirer lui aussi et prendre sa retraite si cela s'avère nécessaire.

Ce à quoi nous assistons, sans que personne bien sûr ne le reconnaisse ouvertement à Rome aujourd’hui, est tout simplement l'adaptation de l'Eglise catholique au monde moderne. Une adaptation que rend inévitable le fait que de moins en moins de vocations viennent du monde occidental, que de plus en plus de fidèles fréquentent les églises en Afrique, en Amérique latine et en Asie, que les moyens matériels des paroisses du Nord sont en chute libre, que les églises adventistes et autres sont de plus en plus actives sur le terrain religieux dans le monde émergent. Autant de réalités concrètes, indiscutables qui, malheureusement, ne sont guère perçues comme elles devraient l'être par les plus hautes instances de l'Eglise, la Curie romaine en particulier.

Rien de ce qui précède ne tient en vérité du hasard et tout était depuis longtemps prévisible comme en ont témoigné à la fois le retrait de Benoît XVI, les réflexions du pape François émises sous diverses formes avant et depuis son élection, mais aussi différents livres écrits ces dernières années par les observateurs les plus attentifs de la scène vaticane. Toute la question est donc maintenant de savoir qui du courant moderniste incarné par le premier pape jésuite de l'histoire chrétienne ou du courant conservateur qui domine encore la Curie l'emportera au terme de la partie de bras de fer qui s'engage dans la Cité du Vatican.

Comme le soulignait jeudi l'un des plus fins observateurs de la scène vaticane, Jean-Marie Guénois, dans les colonnes du quotidien français Le Figaro, le pape François, en parlant aux journalistes comme il l'a fait durant son voyage de retour à Rome, « a finalement préparé l'Eglise catholique à de fortes turbulences pour l'hiver à venir".

 

     

  

Jean-Paul Pigasse

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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