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Les médias de la haine

Mardi 22 Avril 2014 - 0:02

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Une croisade contre les discours haineux a réuni, les 17 et 18 avril à Kigali, au Rwanda, patrons de presse, professionnels des médias et autres partenaires soucieux d’accompagner le travail des journalistes. Les organisateurs, emmenés par l’Initiative des médias d’Afrique (AMI), ont choisi pour thème de cette rencontre : « Mettre un terme aux médias de la haine en Afrique ». Le lieu et le moment de ces échanges se passent de commentaire, car en parlant de la haine portée par la presse, l’exemple le plus emblématique de ces vingt dernières années, en Afrique, est indéniablement celui offert par la Radio des Mille Collines du Rwanda, active pendant le génocide de 1994.

Le défi que se sont donné les professionnels des médias d’exorciser eux-mêmes les démons de la haine souvent à fleur de papiers, de micros et de caméras qu’ils manipulent au quotidien, est à ce point salutaire qu’il pourrait, si Dieu le veut, aider à ennoblir la profession. Dans cette Afrique plus abonnée à créer et entretenir les conflits qu’à y apporter des solutions durables, la contribution à l’apaisement des tensions peut effectivement venir des médias.

Qu’ils soient publics ou privés, les journaux, les radios, les télévisions, les sites internet ont une place à tenir dans cette quête de tranquillité, qui ne saurait, tant s’en faut, être assimilée à la volonté de fermer les yeux sur les dérives ou au refus de traiter l’actualité telle qu’elle est vécue aux quatre coins du monde et particulièrement sur le continent africain. Aux gens qui ont appris leur métier, on ne se permettra pas de leur donner le conseil de se taire, parce qu’ils le boycotteront. Et ce ne sera pas contre qui que ce soit.

Dans le communiqué de presse publié la veille du colloque de Kigali, AMI dit considérer que « la paix, la stabilité et la tolérance constituent les pierres angulaires d’une société juste et démocratique, dans laquelle les médias ont un rôle à crucial à jouer », ajoutant : « Il est urgent de prendre des mesures contre la montée de différentes formes de fondamentalisme pouvant menacer les expériences positives et encourageantes qu’a connues l’Afrique» En conclusion, AMI déclare « s’engager pleinement en faveur du pacte continental contre les discours haineux et se servira de son vaste réseau pour en faire un succès ».

On voit bien que dans cette bataille pour assainir la profession en Afrique, un doigt accusateur est pointé contre les médias, contre ceux qui y exercent, mais également contre les patrons de ces organes. Il est certain que cette responsabilité partagée devrait l’être sur une échelle plus large. Dans le cas du génocide rwandais, qui a sans doute inspiré les organisateurs de la conférence contre les médias de la haine, la part prise par le politique a peut-être été aussi lourde. Eh bien, c’est lorsque les deux acteurs, le politique et le journaliste, ne peuvent plus situer la ligne de frontière qui les sépare que leurs engagements se confondent et se compromettent.

Il est difficile, voire impossible de porter un coup fatal à la collaboration entre les deux protagonistes. L’un trouve chez l’autre, parfois sans le savoir, l’inspiration nécessaire de continuer à exercer : « Tu étais brillant lors de l’émission télévisée d’hier soir. » Cette phrase prononcée dans l’oreille d’un dirigeant politique lui fait chaud au cœur. « Votre papier sur le débat qui défraie la chronique a été remarquable. » Le journaliste n’est pas insensible à ce genre de compliment.

Les choses se gâtent lorsque l’un et l’autre décident d’échanger leur manteau ; le politique devient journaliste et le journaliste prend la place du politique. Telle une fleur du mal arrosée au petit matin chaque jour, la compromission prend corps, les discours changent, la haine pousse. Heureusement, ceux qui lisent, écoutent, regardent n’ont pas toujours les yeux dans la poche. Même s’ils se laissent parfois embrigader, ils finissent par réagir avec suite. En politique comme dans les médias, la crédibilité, ça compte !

Gankama N’Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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