Littérature : les romans africains de la rentrée 2018

Vendredi 14 Septembre 2018 - 19:36

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Partons à la rencontre de deux grosses pointures de la littérature francophone qui publient, en ce mois de rentrée riche en oeuvres d'auteurs d'origine africaine, des ouvrages dont on entend déjà parler.

Alain Mabanckou publie « Les cigognes sont immortelles » aux éditions du Seuil

Alain Mabanckou est né en 1966 à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Ecrivain de renommée internationale, dont les livres ont obtenu plusieurs récompenses telles le prix Renaudot (2006) pour son roman "Mémoires de Porc-épic", il propose en cette rentrée littéraire un nouveau roman qui suit la trame de ses récentes publications, à savoir le souvenir et l’autobiographie.

Pour cet ouvrage, l’auteur de "Verre cassé" situe son aventure dans le Congo des années 1970, le jour de l’assassinat du camarade président Marien Ngouabi et par conséquent celui du bouleversement de tout le système du pays.

Il nous entraîne dans la tête de Michel, un narrateur de 14 ans. Celui-ci nous dépeint avec précision son quotidien. Il nous fait visiter son village, son foyer, les magasins. On y croise ses parents, ses proches, ses camarades. Il nous fait part de ses pensées les plus intimes, de ses petits tracas de tous les jours et de ses petits plaisirs d’enfant. Il décrit tout et aucun détail ne nous est épargné. Grâce à ses précisions indiscrètes, inhérentes à son âge, on comprend parfaitement comment vivaient les gens à cette époque. Le réalisme est saisissant parce que raconté sans filtre. Le lecteur est transporté dans cet espace ainsi que dans ce temps et le dépaysement est total. Par les yeux innocents et naïfs, on assiste aussi à des moments importants de l’Histoire du pays. Michel observe sans comprendre les dialogues des adultes. Ceux-ci découlent des événements tragiques dont les conséquences auront une importance capitale dans le destin de la nation. Par son intermédiaire, l’auteur rend compte des incidents qui ont emaillé son enfance et qui ont bouleversé le cours de sa vie.
Le texte est original dans sa structure. En effet, la tournure des phrases est volontairement enfantine et répétitive pour coller au mieux aux pensées de l’adolescent. La narration part dans tous les sens au gré de ses réflexions. Cela crée une lecture foisonnante, souvent drôle que certains lecteurs pourront trouver fastidieuse sur la longueur. A travers cette aventure, Alain Mabanckou se raconte et raconte son pays d’origine. Il mélange sa petite histoire intime à la grande Histoire pour créer un miroir de son passé et le partager avec le monde.

 "Ne m’appelle pas Capitaine" de Lyonel Trouillot aux éditions Actes Sud

L’écrivain haïtien, Lyonel Trouillot, est un auteur majeur de la francophonie. Dans son nouveau roman, l’héroïne, Aude, fait partie de l’élite des riches blancs du sommet de Montagne Noire à Port-au-Prince. Pour une enquête journalistique destinée à valider une formation à distance, elle est amenée à découvrir la ville du bas de la Montagne, là où les dictatures et peut-être les séismes n’ont laissé que ruines et où se réfugie la misère. C’est là qu’elle rencontre Capitaine, mémoire tourmentée de ce lieu. Ce vieux capitaine habité par tant de disparus qu’il ne veut plus être nommé Capitaine.
Aude, quant à elle, héroïne de ce roman initiatique, commence à prendre conscience de l’artifice et du mensonge dans lequel elle vivait et peu à peu, elle devient, elle-même, libérée de ces mensonges.

Quand on aborde ce roman, on craint un peu le cliché de la petite fille riche et blanche qui découvre la vie en sortant de son milieu et adoptée gentiment après des épreuves par les Noirs du quartier pauvre. Le roman pourrait frôler cela mais l’évite avec une intrigue, un style et des personnages en profondeur. Les personnages principaux que sont Aude et les jeunes du Morne Dédé, Jameson, Magda et les autres sont surprenants de diversité et le passage à l’écriture de leur langage presque oralisé parfois, sonne bien, donne chaleur et naissance dans l'imaginaire au lieu où vit Capitaine et où il héberge ces jeunes. Le récit vous balade habilement entre des univers bien cloisonnés, que malgré un livre court on peut ressentir sans superficialité.

Boris Kharl Ebaka

Légendes et crédits photo : 

Photos: Couvertures des ouvrages

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