Médias : Delphin Bateko plaide pour la prise en compte des fondamentaux du secteur

Jeudi 31 Mai 2018 - 12:20

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Archiviste de formation, le chercheur et animateur à "Radio 7" émettant à Kinshasa affirme que les organes de presse meurent en silence dans le pays, faute d’organisation. Aussi met-il en exergue les quatre piliers de leur fonctionnement, notamment informer, promouvoir, administrer et conserver.

Les médias se meurent en silence en République démocratique du Congo (RDC), relève Delphin Bateko, dans une étude publiée dans son blog personnel. « Dans son rapport de la première journée de la rencontre de Bondeko à Kinshasa, en septembre 2003, l’Union nationale de la presse au Congo a fait remarquer que la génération actuelle des journalistes évolue en amateur en quête du sensationnel et s’illustre dans la mauvaise gestion des organes de presse », souligne d'emblée le chercheur. Cette situation est toujours d’actualité, car, dit-il, les médias congolais n’ont pas d’avenir, faute d’organisation. Et leur chiffre d’affaires est en baisse, selon un constat fait sur le terrain. Ils sont devenus des « médias d’annonces ou de faits » et non des médias qui veillent sur les événements.

Pour sortir de cette situation, les médias sont obligés de faire l’auto-évaluation de leur organisation, en se fondant sur quatre verbes, piliers de leur fonctionnement, à savoir informer, promouvoir, administrer et conserver. Ces quatre verbes-clés déterminent la gouvernance, l’efficacité des médias et, surtout, l’augmentation de leur chiffre d’affaires. « Un média ne peut fonctionner sans informer, sans promouvoir ses annonceurs, sans administrer son personnel et sans conserver sa documentation et ses archives », soutient Delphin Bateko, convaincu qu' En RDC, les médias ne font qu’informer et promouvoir.

Informer...

Historiquement, rappelle-t-il, les médias au Congo existent depuis l’époque coloniale: la presse écrite en 1891, la radio vers 1940 et la télévision à partir de 1966. Les médias en ligne, eux, sont apparus dans le pays vers la fin des années 1990 et la télévision numérique terrestre n’est pas encore vraiment opérationnelle. Les nouveaux médias, note Delphin Bateko, exigent plus d’émulation et de rapidité que le journalisme classique. Mais jusque-là, aucune institution universitaire en RDC n’a encore pris en compte les médias sur la base des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans la formation des étudiants, stigmatise le chercheur. Au cours d’une conférence au Centre culturel américain, les participants voulaient savoir ce que gagnent les éditeurs des journaux en Afrique lorsque le site web américain www.allafrique.com utilise leurs informations. William Strassberger, du bureau Afrique du Département d’Etat américain, déclarait le 6 mai 2009 : « Ce site web avait pris des engagements avec certains éditeurs africains afin que leurs informations y soient placés. Mais payant ».

Delphin Bateko a également parlé de la mutation du journalisme classique vers le journalisme scientifique, alors que la formation journalistique s’oriente beaucoup plus vers la presse audiovisuelle qu’écrite. « C’est pour cette raison que la presse écrite est en train de disparaître, faute de journalistes qui maîtrisent l’écriture », constate-t-il. Et de faire savoir que certains observateurs pensent que la formation actuelle est plus du domaine de la « médialogie » (science qui étudie les médias) que dans l’écriture communicationnelle. Pourtant, l’écriture est la racine pivotante des sciences de la communication et de l’information. L’information est aussi une source financière pour le journaliste et la rédaction.

Promouvoir, administrer et conserver …

S’agissant de la promotion, souligne Delphin Bateko, les médias n’ont que des services de publicité et non de marketing. Ce service de « marketing » est parfois incapable de faire la chasse aux publicités. Il mentionne le mémoire de licence (B+5) de Galvanie Pinzi, à l’Université catholique du Congo. Celle-ci  constate que la majorité de publicités diffusées dans les médias de Kinshasa n’est pas l’effort des agents de marketing, mais plutôt des annonceurs eux-mêmes et parfois des journalistes. «…  pour ce qui est de la recherche de la publicité, les agents de ce service sont sédentaires, attendant la publicité au bureau. C’est la notoriété de ces médias qui fait que les annonceurs viennent jusqu’à leurs bureaux avec leurs annonces », fait-elle savoir. Et Bateko d’attester : « Scientifiquement parlant, l’immobilisme du service de marketing dans la presse serait dû au manque de méthodes et techniques de marketing appropriées, comme l’analyse Swot qui consiste à étudier les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces dans l’organisation ».

Il revient aux patrons des médias de réorganiser le service de marketing afin d’augmenter le chiffre d’affaires de leurs entreprises, conseille-t-il. En outre, poursuit-il, parmi les sources financières d’une entreprise de presse, il y a aussi la vente de journaux. Actuellement à Kinshasa, les journaux ne se vendent plus, faute d’acheteurs. Même les institutions officielles ne sont plus abonnées, à cela s'ajoute, selon lui, l’inexistence de la culture de la lecture libre dans le pays.   

L’administration est un cas très négligé dans la majorité de médias de Kinshasa, indique-t-il, précisant qu' elle est le cerveau moteur d’un système mais il est parfois difficile à ces médias de trouver des dossiers sur les identités de leur propre personnel. Selon le rapport d'activités de l’ONG African media institute 2004, le service du personnel est quasiment inexistant dans les médias congolais. Très souvent, le directeur de publication fait office de chef du personnel. À ce titre, il doit remplir les formalités de déclaration aux impôts et à la sécurité sociale, mais comme les organes de presse privés en RDC fonctionnent sans convention collective, cette fonction est sans importance, stigmatise le chercheur.

Quant à la conservation, Delphin Bateko indique que les médias congolais ont le devoir de tenir leurs archives, prévenant qu'un média sans ses archives est dépourvu de backgrounds comme l’indique le blog spécialisé en documentation (archives, bibliothèque, documentation et bibliologie) www. http://archivistebateko.canalblog.com. À Kinshasa comme dans l'ensemble du pays, la plupart des médias ne parviennent pas à bien gérer et conserver leurs archives, les Congolais en général n’ayant pas cette culture, dit-il. « Au moment où les médias à travers le monde luttent pour conserver leur quatrième pouvoir en informant, analysant, rappelant et veillant sur les événements, en RDC, les médias ne font qu’annoncer des informations », laisse-t-il entendre.

« Les archives et la documentation dans les médias jouent un rôle de sentinelle et de veille. Elles sont le métaschème de la rédaction. Leur mission est de définir la politique de conservation et gestion des documents. Dans cette approche, il faut conserver tous les documents utilisés par la rédaction (les conducteurs, les discours, les rapports, les anciennes productions, photo…). Dans le service de marketing et commercial, il est recommandé de classer les factures avec les pages de photocopie des journaux ou les documents du texte de l’annonceur) et, dans le service d’administration, d’analyser bibliologiquement le dossier du personnel en le classant par rapport aux indices préétablis. Sans oublier la conservation des documents essentiels de l’entreprise », insiste Delphin Bateko.

La vie des médias en RDC évolue dans une période vraisemblablement trouble parce que ceux qui sont censés informer et former le public ne sont pas généralement chevillés sur la rigueur, la compétence et le savoir. Les organisations qui  soutiennent des médias congolais s’impliquent dans la sauvegarde et, surtout, la création de la culture de conservation des archives de médias, conclut-il.

Martin Enyimo

Légendes et crédits photo : 

Delphin Bateko Moyikoli, chercheur, archiviste de formation et animateur --radio à Kinshasa.

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