Menace djihadiste/terrrorisme : Une nébuleuse

Jeudi 26 Février 2015 - 17:07

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L’extrémisme islamique conquérant gagne du terrain suscitant beaucoup d’interrogations, sans réponses, sur ses sources de financement et son but ultime.

En même temps que l’incompréhension d’un phénomène que les Américains (John Kerry) ont désormais inscrit au rang de « nouvelle guerre contre de nouveaux ennemis », le djihad agressif s’est imposé comme une réalité brutale de la deuxième décennie du 21è siècle. Il est né en Irak, sur les cendres encore brûlantes du mouvement Al Qaïda. Mais même cette affirmation n’a que peu de chance d’être soutenue par les faits. Car si la forme est nouvelle, ce à quoi elle renvoie a des chances d’avoir toujours été là, la violence en moins, soutiennent les analystes occidentaux.

À l’appui de leur thèse, le fait que les « foyers » qui aujourd’hui se signalent par la pression et la coercition ou la revendication du retour vers un islam « pur » se sont allumés ici et là. Etalés dans le temps, ils vont de l’Algérie du GIA, aux talibans afghans. Sans lien organique avéré les uns avec les autres, ou une coordination affirmée de leurs faits et gestes. Entre les mouvements  maliens du MUJAO, Ansar Dine (Défenseurs de l’islam) et le MNLA coupables de destructions de pans du patrimoine culturel immense africain à Tombouctou et les Shebab somaliens, il n’est sans doute pas erroné de soutenir qu’il n’existe aucun lien organique.

En tout cas pas au travers d’un continuum géographique entre l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique : la Somalie est loin de Tombouctou. Mais les gestes et les prétentions extrémistes, matinées de religion, semblent être les mêmes. Est-ce cela le liant qui tient le tout ? Ou est-ce un mimétisme favorisé par la démocratisation des réseaux sociaux et des médias de masse ? La semaine dernière Boko Haram est apparu pour la première fois sur Facebook et Twitter alors qu’il n’était présent que sur YouTube jusque-là. Son leader, Abubakar Shekau, multiplie désormais les vidéos avec une mise en scène terrifiante qui rappelle celles de l’Etat islamique décapitant ou brûlant des otages en Syrie. Qui est la poule de l’œuf ?

Mais la méthode reste la même. En tout cas, de première attaque au Cameroun (juillet 2014), à une première attaque au Niger (janvier 2015) puis au Tchad (12 février 2015) : la menace Boko Haram se précise. Dans la Corne de l’Afrique, le mouvement des Shebab somaliens a fini de se limiter au seul étroit de la Somalie où il est pourchassé par la coalition de la force de l’ONU et de l’Union africaine, l’Amisom. Alors il s’égaille jusqu’au Kenya où il s’est signalé par des attentats sanglants, et même en Ouganda où la vigilance n’a jamais baissé.

Une nébuleuse, donc, mais avec quels moyens ? Quelles sont les sources de financement ? Questions sans réponses certaines. Le 18 février dernier, l’armée tchadienne est entrée dans la ville de Dikwa, à 90 Km de Maiduguri, le fief retenu de Boko Haram dans le nord-est du Nigéria. Elle y a tué 117 combattants islamistes. Et détruit, affirme le chef d’état-major général des armées du Tchad Brahim Seid Mahamat, « quatre véhicules bourrés d’explosifs » et 142 motos, moyen opérationnel privilégié de Boko Haram.

Cela suppose que le mouvement dispose d’un potentiel matériel important qui lui permet de se déployer jusqu’à près de Diwa, au sud du Niger, à plusieurs centaines de kilomètres au nord de Maiduguri. Même en avalisant l’hypothèse que ses armes se composent de matériels et munitions saisis sur les militaires nigérians en fuite et du pillage des casernes, il reste un large espace d’interrogations à combler. Et puis, on a vu l’alignement de ces pick-up 4X4 rutilantes sur les vidéos d’Abubakar Shekau, signe d’une population qui ne s’est certainement pas bâtie sur du matériel de pillage ou du bric et du broc ramené des casses.

Le Cameroun indique de son côté que 1000 membres de Boko Haram sont actuellement détenus dans ses prisons à Maroua (nord), à la frontière avec le voisin nigérian. Les questions sont nombreuses, car dans l’hypothèse plausible d’un financement par quelque puissance occulte de cette « centrale terroriste au cœur de l’Afrique », comme l’a défini un expert, Boko Haram semble ne pas inspirer que de la peur et de la répulsion. Le mouvement réussit aussi à recruter. La restauration du khalifat au nord du Nigéria est-elle devenue tendance ? Ou bien comble-t-elle un vide politique ?

 

 

Lucien Mpama