Michel Luntumbue : « Bon nombre de membres de l’UE n’ont pas de véritable vocation ni de passé africain »

Dimanche 30 Mars 2014 - 4:30

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Michel Luntumbue est chargé de recherche au Grip dans le secteur conflit, sécurité et gouvernance en Afrique, où ses travaux portent sur l’amélioration de la sécurité humaine, la prévention des conflits et le renforcement de l’État de droit dans les pays d’Afrique centrale et occidentale. Michel Luntumbue collabore également à la coordination technique du Réseau africain francophone sur les armes légères, qui regroupe des associations actives dans la lutte contre la prolifération des armes légères, la prévention des conflits ou la construction de la paix. Entretien

On parle de la création d’une Force africaine de réaction rapide, mais avec quels financements, quel leadership ?
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une force africaine, mais d’une capacité africaine reposant sur l’implication volontaire d’un ou plusieurs États ayant des capacités militaires avérées. Le leadership sera de ce fait assuré par les acteurs qui ont des intérêts (comme l’illustre notamment le cas de l’opération de l’UA en Somalie dans le cadre de l’Amisom) tandis que le financement demeura très probablement assuré par des bailleurs extérieurs. Bien qu’en principe il soit prévu que les États qui s’engagent agissent sur fonds propres en attendant la reprise du relais par l’UA ou les Nations unies le cas échéant. En vue de s’affranchir de la dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur, l’UA a approuvé en mai 2013, l’instauration d'ici à 2015, d'une taxe de 10 dollars sur les billets d'avion et d'une taxe de 2 dollars sur les séjours hôteliers, pour un revenu espéré à 763 millions de dollars par an. Avec une telle ressource, l’UA pourrait enfin posséder les moyens de ses ambitions. Pour le moment, douze pays ont manifesté leur intention de participer à l’opérationnalisation de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric), qui se veut une formule transitoire, en attentant la Force africaine en attente (FAA) : l’Algérie, l’Angola, le Tchad, l’Éthiopie, la Guinée, la Mauritanie, le Niger, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Soudan, la Tanzanie et l’Ouganda.

Le pays africain qui dirigerait cette force serait-il avantagé pour occuper le siège africain au Conseil de sécurité ?
Il n’y a aucun lien direct entre le leadership exercé au niveau de la Caric et la légitimité à représenter le continent au sein du CSNU. Outre l’aptitude à démontrer une certaine capacité d’action, le candidat à la représentation africaine au CSNU devra satisfaire à un ensemble de critères et atouts caractérisant les contours d’une puissance aujourd’hui. Outre sa puissance militaire et la capacité de projection, on peut notamment souligner le dynamisme ainsi qu’un rayonnement économique avéré, le déploiement d’une diplomatie influente et d’envergure, l’existence d’un capital d’influence sur le plan de la production des idées (notamment le rayonnement culturel et/ou scientifique), traduisant une capacité à se constituer en modèle de référence pour les autres pays, et enfin une légitimité découlant de la reconnaissance de son statut de puissance par ses pairs… Si l’Afrique du Sud est l’une des nations les mieux placées au regard de la plupart des critères, dont celui de la gouvernance, son leadership est plutôt mal accepté par nombre de pays francophones…

Peut-on imaginer des forces sous-régionales plutôt que panafricaines ?
Plusieurs déclinaisons sont possibles, selon les cas. Des forces panafricaines peuvent reposer sur des composantes sous-régionales exclusivement issues d’une sous-région déterminée, aux côtés de la formule des brigades mixtes. La principale différence à l’heure actuelle entre la FAA et la Caric est que cette dernière repose sur une coalition ad hoc portée par un État ou un groupe d’États. On peut tabler sur l’hypothèse d’un décloisonnement régional croissant, comme l’illustre partiellement le rôle joué par le Tchad au Mali…

La France est le pays européen leader quand il s’agit d’aller régler les problèmes sur le terrain. Peut-on imaginer que cela va changer dans les années à venir ?
Le renforcement de la collaboration entre la France, l’UA et ses organisations régionales s’inscrit dans la perspective d’une volonté des puissances occidentales de renforcer les institutions nationales, régionales et continentales africaines, notamment dans le domaine militaire (soutien aux Opérations de maintien de la paix, Force africaine d’intervention et brigades régionales associées, Caric, etc.). Il semble qu’il y ait une volonté française de maintenir une influence sur le continent africain, comme l’illustre la décision récente d’un redéploiement des forces française présentes sur le continent, mais avec un souci accru de légitimation des interventions par un mandat onusien et par une collaboration avec les forces africaines (opérations Serval et Sangaris) pour faire pièce aux éventuelles réactions souverainistes et panafricanistes d’une partie des opinions et des États, notamment les puissances comme l’AFS.

Quels pourraient être le bilan et les perspectives de la coopération militaire entre l’UE et l’Afrique ?
Il me semble que la coopération UE-Afrique sur le plan sécuritaire se limite au financement des OMP ou de l’opérationnalisation de l’Apsa, ainsi qu’à quelques initiatives terrain ad hoc et ponctuelles, souvent portées par la France, tandis qu’une projection de l’UE en tant qu’entité collective se limitera aux expériences symboliques comme EUTM au Mali ou Crimgo, initiative de l’UE pour lutter contre la piraterie dans le golfe de Guinée, pour le volet maritime. Bon nombre des membres de l’UE n’ont pas de véritable vocation ni de passé africain justifiant une implication plus volontariste.

Propos recueillis par Noël Ndong