N’est pas Mao Zedong qui le veut !

Vendredi 2 Août 2019 - 14:09

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Un demi-siècle après les faits, lorsque dans les salons on évoque la chute du président Massamba-Débat le 1er août 1968, l’entrée en scène du capitaine Ngouabi à la fin de l’après-midi de cette journée est souvent rangée dans la panoplie des explications nécessaires pas toujours suffisantes.

À la consternation d’un Pierre Biarnes qui ne comprenait pas comment le président Massamba-Débat s’était subitement écroulé « alors qu’il paraissait avoir la partie gagnée », les analystes faisant un parallèle avec la Révolution culturelle en Chine rétorquent chaque fois par une girouette en décrétant que n’est pas Mao Zedong qui le veut !

En Chine, sentant son leadership contesté et menacé après des échecs de relance du pays, Mao avait attaqué les organes du parti et de l’État chinois au cours d’une violente campagne dénommée Révolution culturelle qui lui assura le pouvoir absolu jusqu’à sa mort en 1976.

À l’instar du leader chinois, le président Massamba-Débat avait pour la même question de leadership et pour le même objectif du pouvoir absolu engagé une épreuve de force contre les organes du parti et de l’État qui se retourna contre lui.

Inattendument présent au sommet de l’Etat après le conclave des révolutionnaires dans la nuit du 15 au 16 août 1963, le président Massamba-Débat avait été légitimé par la Constitution du 8 décembre 1963. Avec la formation de l’unique instance politique du pays, le Mouvement national de la révolution (MNR), il entra dans une alliance tactique avec des jeunes gens, des étudiants, venus d’Europe qui lui firent avaler une potion magique dite socialisme scientifique parée des vertus développementistes. Lecteur assidu de Max Weber, l’ancien instituteur avait de sérieuses réserves sur l’option idéologique choisie par le congrès. Toutefois, à l’issue de cette instance, il était secrétaire général du parti, président de la République et formait avec le Premier ministre, Pascal Lissouba, et Ambroise Noumazalay, premier secrétaire politique du parti, le trio qui dirigeait le pays.

En avril 1966, ce triumvirat fut disloqué et remplacé par un duo formé par Massamba-Débat et Noumazalay, ce dernier cumulant la Primature et sa première fonction.

En 1967, à sa quatrième année au sommet de l’État, soit qu’il fut victime des voix intérieures, soit qu’il fut influencé par les évènements chinois, le président Massamba-Débat décida de jeter bas le masque et de s’affranchir des garde-fous idéologiques et constitutionnelles qui fondaient le pouvoir qu’il exerçait. Il avait, à sa manière, une vision pour réformer le parti et l’État au terme de laquelle le pouvoir absolu lui revenait.

Lancé sur cette voie, il commença par attaquer le socle idéologique du parti canonisé par le congrès de 1964. Son opuscule Révolution et construction nationale ne faisait plus mystère sur cette question. Le 12 janvier, il fit d’une pierre deux coups. Il supprima une instance constitutionnelle, la primature et, simultanément, il bombardait l’état-major de l’orthodoxie marxiste en écartant Noumazalay.

Après quoi, il observa une pause, rechargea ses accus et reprit l’offensive dans la dernière semaine du mois de juillet par une flagrante provocation. Le 22 juillet, alors que son mandat courrait jusqu’en décembre et qu’il n’y avait pas d’élection présidentielle en vue, il défia quiconque voulait prendre sa place de passer à la présidence de la République recevoir l’impérium de sa charge.

Le 27 juillet, le président s’estimait en droit de garder l’impérium républicain puisque personne ne voulait le remplacer ! Le 31 juillet à la place de l’Hôtel de ville, une marée humaine, ses partisans, exigeait de lui la dissolution de l’Assemblée nationale et la suspension du bureau politique du parti.

Ayant succombé à cette « requête », le président Massamba-Débat paracheva la destruction des instances constitutionnelles et politiques qu’il dirigeait par l’érection d’un Conseil national de la révolution (CNR) dans la journée du 1er août. Puis, tout s’arrêta net vers la fin de cet après-midi, subitement pétrifié et putréfié.

Alors pourquoi le président Massamba-Débat s’était-il écroulé alors qu’il paraissait avoir gagné la partie ? La réponse à cette interrogation a été donnée supra. En effet, n’est pas Mao Zedong qui le veut ! Dans la lutte à mort qu’il avait engagée contre ses anciens camarades du parti et de l’Etat chinois, le génial stratège de la Longue marche s’était assuré la maîtrise des ressources humaines, des ressources théoriques, doctrinales et, surtout, des leviers sécuritaires.

En engageant seul, à ses risques et périls, une réforme du parti et de l’État après avoir écarté Noumazalay qui l’avait sauvé le 27 juin 1966 des griffes militaires et qui continuait d’avoir la haute main sur le commandement des para-militaires de la défense civile, le président Massamba-Débat s’était placé sous la menace d’un coup du sort sans aucun filet de sécurité. Lorsque le capitaine Ngouabi réapparut, souvenir effrayant d’une querelle ancienne, les deux conditions nécessaires et suffisantes de sa chute étaient réunies.

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiera

Notification: 

Non