Numéro spécial Francophonie - Jeunesse, femme et culture de la paix en Afrique : quels enjeux ?

Samedi 15 Novembre 2014 - 15:00

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La jeunesse, comme on a coutume de la désigner, traduit la période de la vie humaine entre l’enfance et l’âge mûr. Tout au long du processus qui va de la naissance à la maturité, il y a des conditions la rendant active. C’est ce qui nous permet de penser qu’on ne naît pas jeune, mais qu’on le devient par une orchestration d’actions et d’interventions par lesquelles on doit conduire l’être humain d’un état à un autre, mieux, de l’état d’enfance, posé comme point de départ, à l’état adulte, posé comme point d’arrivée

Il y a donc ici deux axes qui se dessinent : le premier est celui de l’inachèvement, de l’imperfection ou de quelque chose en devenir, alors que le deuxième axe, qui marque l’arrivée, pose le problème de l’achèvement, de l’actualisation, de la perfection, de la mise à terme ou de l’aboutissement du parcours d’une expérience existentielle. Mais la tranche qui nous préoccupe ici est celle à mi-parcours de l’homme en devenir, encore en puissance et en train de se faire. Prise en tout sens, il y a engagement dans le processus éducatif du type d’homme que l’on cherche à promouvoir. L’éducation apparaît en filigrane ici comme ce qui, à travers l’intervention d’autres hommes, et de femmes, eux-mêmes éduqués, permet à chacun de nous de devenir humain.

Et si on la considère comme un processus par lequel on doit élever un enfant en vue de le conduire d’un état brut vers un état malléable pour la maturité, on peut d’emblée dire que toute action éducative doit nécessairement produire des adultes, c’est-à dire des êtres mûrs, achevés, accomplis, non spontanés, civilement honnêtes, responsables et capables de mener tout au long de leur itinéraire existentiel une vie harmonieuse, paisible, sans agitation, tranquille, sans imposture et sans compromissions. Ce qui est difficultueux.

Nous sommes tous témoins de l’impérieux rôle que les femmes jouent, depuis la conception jusqu’à l’enfantement et dans tout le processus de socialisation pour sa maturation, jusqu’à la phase de l’homme en devenir. Les hommes ne sont point absents dans cette actualisation. Le problème à garder toujours à l’esprit est celui-ci : en quoi le fait d’élever les enfants dans des conditions familiale et sociale moins anxiogènes et phobogènes, de telle sorte qu’ils soient toujours capables de rendre le lien social possible, requiert-il l’apport du couple, et davantage de la femme, convaincus que nous sommes aussi de ce point de vue qu’on ne naît pas femme.

On le devient. Non point le style de femme que l’on présente et soutient ces temps-ci à grand renfort de publicité, favorisant pour ainsi dire l’émergence des hommes-femmes, et des femmes-hommes. Mais de la femme de sexe féminin, génitrice naturelle, responsable et avisée qu’être femme est plus qu’un métier. Poser le problème en ces termes, c’est vouloir démontrer en quel sens l’éducation à la culture de la paix dans tous ses contours prend une valeur incontournable. Il s’agit de penser à une culture de la paix qui diminue le coefficient d’incertitude et d’inquiétude des plus jeunes, et de les aider à mieux se re-trouver dans toutes les phases du processus d’hominisation et d’humanisation, d’apprendre à chacun à être en paix avec soi-même, avec les autres, avec le sexe opposé et avec l’être qu’on engendre. Bien que la définition de l’éducation dresse toujours un champ varié de conceptions, il convient de tenir toujours compte de toutes les composantes dans le type d’éducation à donner aux enfants, l’idéal restant de faire d’eux des individus équilibrés dès la conception. Ce qui n’est point une sinécure. Et pour cause.

La paix n’est point un mot que l’on prononce, c’est surtout un état, une manière d’être d’une personne qui dès le premier contact, dès le premier regard, nous inspire respect, considération, confiance et compréhension. Le vieux philosophe et homme politique romain Cicéron disait en ce sens que le visage, c’est le miroir de l’âme. Quant au philosophe contemporain Levinas, préoccupé par le même sujet, tout visage humain donne toujours un commandement éthique. La paix suppose pour ainsi dire la possibilité inspirée par un visage de dialoguer, d’échanger, de partager le même espace, de coopérer volontairement et librement, c’est-à dire sans conditions préalables avec autrui. C’est un état d’esprit de quelqu’un qui jouit d’un calme intérieur, d’une tranquillité de l’âme.

Ce type d’individu n’affiche pas sur son visage une mine patibulaire ou d’enterrement, comme c’est souvent le cas dans certains métros ou trains de Paris, où dès l’abord on vous dévisage à la moindre salutation. La paix du cœur inspire un sourire franc. Il y a donc un aspect interindividuel de la paix à prendre en compte qui instaure un enrichissement mutuel. Cette paix-là commence dans le double regard regardé, et le regard regardant du bébé qui, dès la naissance se met en complicité avec sa mère pour prendre en gorgées sans limites assignables du pur lait maternel. Pour la psychanalyse, il faut remonter à la pré-histoire de chacun de nous pour comprendre la source du dialogue qui s’instaure entre le fœtus dans le ventre et la mère.

L’enfant vit et subit les états psychologiques d’une maman perturbée. Il peut donc venir au monde déjà avisé ou troublé, avec un psychisme inhibé. On pourrait donc dire que la paix dans les cœurs s’enracine très tôt, à l’état virtuel chez le jeune enfant. C’est à ce titre que la vie de tout un chacun s’actualise jusqu’à la mort, qu’on finit par comprendre comme l’aboutissement d’une vie heureuse bien accomplie.

À une autre échelle, la même paix pourrait s’enraciner entre citoyens ou groupes de personnes qui s’engagent à vivre dans la concorde. Il en serait de même entre les pays qui vivent dans la coopération (respect des frontières, des lois, échanges bilatéraux, etc.). La paix se traduit généralement par une volonté ou un accord de ne pas/plus être en conflits, en querelle, en guerre. « Cultiver la paix dans les esprits », et donc d’emblée dans les familles, la rétablir dans les ménages, la vivre entre voisins, entre frères et sœurs, la négocier entre les États et signer la cessation de l’état de guerre, « afficher une volonté de paix entre les assaillants », « se saluer dans la paix du Christ », voilà autant de lieux de paix, et qu’il convient d’intégrer dans les contenus de manuels ou de programmes de formation. D’autres expressions sont à prendre en compte dans nos discussions quotidiennes : achever sa vie dans la paix, avoir la conscience en paix, avoir la paix du cœur, avoir la paix à ne pas être dérangé, faire la paix avec quelqu’un, homme de paix, laisser les morts en paix, laisser quelqu’un en paix, la paix des braves, la paix éternelle, des paroles de paix, qu’il repose en paix !

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’entretenir d’abord au niveau de la famille, première institution sociale, un état d’esprit de concorde pour en faire une tradition, une culture, c’est-à-dire un héritage spirituel, voire culturel, que l’on doit transmettre d’une génération à une autre. Parce que la femme, et donc la mère, passe généralement plus de temps avec les enfants, son état mental doit être protégé. Pour mieux se socialiser et s’accomplir pleinement, le jeune enfant a besoin d’un précieux support affectif. Un enfant n’a jamais demandé à venir au monde. Sinon, ils deviendraient nombreux, les enfants qui renonceraient ou retarderaient leur arrivée, ou alors choisiraient le contexte qui répondrait à leurs aspirations légitimes. « Perçu comme un homme en devenir, alors que pour le présent, il reste une personnalité à modeler, un être à façonner, un destin qui se cherche. Il a besoin de s’accomplir. Il doit tout apprendre et tout le devoir de la communauté à son égard consiste à le prendre en main. Parce que son manque de maturité l’expose à des dangers, il a besoin d’être en permanence guidé, même si par ailleurs, il lui est demandé de contribuer à sa formation », souligne Luc Ndjodo.

Éclairé par ces propos fort suggestifs, nous devons comprendre qu’aucun enfant ne choisit sa famille. Il est comme jeté-là en déréliction dans X famille et sans excuses. C’est à cette première institution qu’incombe au premier chef et surtout aux parents au sens noble du terme, la tâche de l’éduquer, de le soigner, de le protéger, de l’encadrer, mieux, de jeter les bases de son devenir. C’est dire que l’apprentissage par l’enfant de la culture, des valeurs et règles d’une société commence au sein de la famille. Et pour que sa personnalité se développe et s’épanouisse harmonieusement, l’enfant devrait grandir dans un milieu où il trouverait amour et compréhension mutuelle entre les différents membres gravitant autour de la mère.

Tout doit donc être mis en œuvre au niveau des États pour que les enfants ne soient point séparés trop tôt de leur famille qu’il ne faut point détruire, ni dénaturer. Prise en ce sens, la famille restera par la femme et pour la femme un vecteur de paix ; envisagée elle-même comme un bien suprême de l’humanité que les générations successives doivent préserver et consolider pour l’harmonie entre les communautés nationale et internationale.

Mais le comportement des individus étant toujours fonction des situations qu’ils traversent au quotidien, et en raison des contextes qui généralement ne se ressemblent pas, la paix a cessé d’être et n’est jamais acquise d’avance, ni immédiatement perdue. Les injustices dans les relations entre les hommes, les égoïsmes de tout bord, la volonté de puissance, le conflit des genres et en un mot, la crise généralisée des valeurs qui secoue durement et durablement nos pays sont autant d’éléments anxiogènes et phobogènes qui ont fini par créer un monde d’insécurité, où les valeurs républicaines fondamentales sont bafouées, et où les familles sont instables et déchirées. Les guerres, le terrorisme, la culture du hold-up, la stigmatisation des comportements déviants par les médias sont autant d’éléments à prendre en compte pour mettre en œuvre des dispositifs de nature à favoriser la culture de la paix perpétuelle. Le problème est donc de savoir comment faire pour rétablir et promouvoir les valeurs si chères pour la vie et favorables à l’éclosion d’une jeunesse épanouie ? Les interpellations sont collectives et exaltantes !

Sans céder au pessimisme, en dépit des conditions matérielles d’existence et des difficultés objectives que connaissent différentes couches de nos communautés, et surtout par souci de contribuer à la réalisation des différents Objectifs du millénaire pour le développement, objectifs imaginés pour que l’Afrique prenne sa place dans la mondialisation et devienne ainsi un îlot de paix et de prospérité, la question majeure est de savoir comment élever avant 2015 l’ensemble du continent africain au-dessus des limitations observées ?

Né au Cameroun, ancien élève de l’École normale supérieure de Yaoundé, j’entame en 1990 une carrière d’enseignant de philosophie, devenue par la suite assez fulgurante. Ancien proviseur des lycées, j’ai éprouvé en 2004 le vif besoin de me consacrer à une recherche universitaire pour prendre du recul sur mon expérience. Formé parallèlement en master d’administration et gestion des entreprises à l’IAE de Bordeaux, et de surcroît titulaire d’un doctorat nouveau régime en philosophie de l’éducation obtenu à l’université Paris-Est, mes travaux de recherches portent sur les politiques publiques d’éducation ; les valeurs humaines fondamentales que la tradition philosophique a mises au jour ; l’équité et la qualité dans l’éducation, les questions de gouvernance éducative, l’innovation sociale et la gouvernance des territoires ,toutes les questions liées à l’émergence et au développement durable de l’Afrique et son rapport au reste du monde. Je nourri d’ailleurs en ce sens un projet d’application pour suite de mes recherches post-doctorales.

Magloire Kédé Onana