Numéro spécial Francophonie – In Koli Jean Bofane : « L’avenir de la littérature francophone est en Afrique »

Samedi 15 Novembre 2014 - 16:45

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Écrivain à succès (Mathématiques congolaises et Congo Inc.), In Koli Jean Bofane prépare un ambitieux programme de promotion des jeunes auteurs africains. Et il souhaite mettre en place une d’imprimerie locale pour permettre aux lecteurs d’Afrique centrale de trouver des ouvrages à des prix adaptés aux réalités économiques locales. Ambitieux, mais réaliste… Entretien

Les Dépêches de Brazzaville : Jean Bofane, vous travaillez actuellement sur un ambitieux projet, afin de pouvoir proposer au lectorat africain des livres à des prix abordables. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
In Koli Jean Bofane : En 2012, en amont du sommet de la Francophonie, j’ai assisté au Congrès des écrivains francophones à Lubumbashi. Et avec plusieurs confrères, venus de tous horizons, nous avons constaté que l’édition était absente d’Afrique. Les livres sont trop chers, inabordables pour le lecteur local. Et, par ailleurs, les auteurs ne sont pas assez accompagnés dans leur parcours. Quand j’étais à Kinshasa, avant mon installation en Belgique, j’ai travaillé dans l’édition de fanzines et de BD satiriques. Je ne travaillais pas dans la littérature, mais je connais le processus de fabrication du livre, l’impression, les machines. Et je veux mettre ces connaissances, et celles acquises dans le milieu littéraire, au service du lecteur africain.

Concrètement, quel est votre plan de développement pour cet audacieux projet ?
Le but et la mise en œuvre sont doubles : il s’agit de promouvoir les auteurs les plus talentueux pour leur permettre de progresser dans leur écriture afin d’arriver à trouver le débouché qu’ils méritent. Et de proposer les ouvrages à un prix abordable. La base est d’ouvrir un centre culturel à Kinshasa, qui sera baptisé Centre expérimental K, comme Kinshasa et comme Kongo, pour rendre hommage à nos ancêtres, à qui nous devons notre bagage culturel et notre inspiration. Dans ce centre, nous travaillerons avec les auteurs sélectionnés sur l’écriture proprement dite. Nous sélectionnerons des gens qui savent déjà écrire et à qui il ne manque pas grand-chose pour percer. Une carrière se joue parfois sur des détails, et l’idée est de leur permettre de franchir le dernier cap, qui n’est pas le plus facile à atteindre.

Qui interviendrait pour les aider à franchir ce cap ?
Des auteurs confirmés ou des éditeurs qui viendraient animer des ateliers au Centre expérimental K. J’insiste sur le fait que la sélection sera stricte et que les places seront « chères ». Au-delà du roman, les talents s’imposent dans le monde, dans le théâtre, par exemple, en témoigne la présence de Dieudonné Niangouna au festival d’Avignon. En Belgique, de nombreux metteurs en scène congolais sont en résidence dans des théâtres. L’écriture cinématographique y sera présente également. Quelque chose est en train de se passer à Kinshasa, dans ce domaine. On y a tourné Rebelle avec Rachel Mwanza, Prix d’interprétation à Berlin, ou Viva Riva de Djo Tunga Wa Munga. Tous expriment la voix de l’Afrique, et je pense que l’on se doit de les aider à la faire entendre davantage encore.

Et pour le volet imprimerie ?
Je pense qu’il est possible de sortir des livres pour cinq ou six dollars. Et là, le livre devient accessible à la population. Imprimé sur place, on réduit le prix de transport du livre et son impression fait travailler des gens sur place. Pour réduire les prix de vente, il faut ajuster les droits d’auteurs aux réalités économiques locales.

Les maisons d’édition sont un acteur incontournable du processus du livre. Comment les intéresser à un tel projet ?
En tant qu’auteur, je sais qu’il est difficile pour un jeune écrivain d’arriver jusqu’à une grande maison d’édition. Ce sont ces dernières qui font la loi dans le milieu littéraire, forcément, puisqu’elles diffusent. Il faut donc les associer pleinement à un tel projet.

Mais quel serait leur intérêt puisqu’on parle là d’une activité économique qui se doit d’être rentable ?
J’ai un ami algérien, également édité chez Actes Sud, ma maison d’édition : Actes Sud possède les droits pour le monde, et lui a gardé les droits pour l’Algérie. Il peut ainsi y vendre ses livres à moins de dix dollars. Des collaborations peuvent être envisagées. Plus globalement, les maisons d’édition ont besoin d’auteurs talentueux. En soutenant le Centre expérimental K, elles participeront à l’éclosion d’auteurs à succès. Par ailleurs, leur intérêt, en favorisant la vente d’ouvrages dans un vivier démographique aussi important que l’Afrique francophone, est de multiplier les ventes, à des prix inférieurs, certes, mais en grand nombre. L’avenir de la littérature francophone est en Afrique, tout le monde le sait.

Quel serait le rayon d’action du Centre expérimental K ?
Le premier cercle sera celui du royaume Kongo, qui s’étend de Kinshasa jusqu’à l’Angola, en passant par le Congo-Brazzaville. Mais la littérature n’a ni frontière ni limite, donc nos voisins du Gabon, du Cameroun, mais aussi nos frères d’Afrique de l’Ouest seront concernés. Tout comme nos frères de la région des Grands Lacs, car je suis persuadé que de tels projets peuvent contribuer à panser les plaies des conflits. Brazzaville a une place importante dans ma démarche, car aujourd’hui, le Congo est un grand pourvoyeur de plumes prestigieuses : à tout seigneur tout honneur, je citerai d’abord Henri Lopes puis Alain Mabanckou, Emmanuel Dongala, le jeune Wilfried N’Sonde et bien d’autres. En RDC, la dynamique est moins présente malgré la présence de Bibish Mumbu, Papy Mbwiti, Vincent Lobume Kalimasi, Yoka Lye. Parmi ces talents, je pense en particulier à celui qui a été mon déclic dans ce projet : Fiston Nasser Mwanza. Nous nous étions rencontrés au congrès de Lubumbashi. À l’époque, il travaillait sur la nouvelle, la poésie, le théâtre, avec brio, mais j’étais persuadé qu’il pouvait briller dans le roman. Quand je l’ai revu lors du festival Étonnants Voyageurs, à Brazzaville en 2013, je lui ai dit de se lancer et je l’ai présenté au vieux loup de l’édition, Marc de Gouvenain, un ancien d’Actes Sud, aujourd’hui chez Pontas. Moins d’un an plus tard, son livre Tram 83 sortait chez Métailié, était reconnu et traduit dans plusieurs langues.

Finalement, une carrière ne tient parfois à pas grand-chose : la bonne rencontre…
Effectivement, une rencontre au bon moment peut aider. Mais attention, sans talent, le coup de pouce ne vaut rien. Fiston Mwanza Mujila est doué, son écriture est difficile, novatrice, révolutionnaire. Figurez-vous que lorsque Sami Tchak a lu un de ses manuscrits, il m’a dit : « Bofane, Sony Labou Tansi n’est pas mort ! » C’est génial d’entendre ça, de voir que la relève est présente. À nous, les grands frères, de l’aider à percer, à exister et à perpétuer la littérature francophone africaine.

Le Grand Prix du roman métis 2014 a été attribué à l’auteur congolais In Koli Jean Bofane pour Congo Inc., un tableau saisissant du Congo contemporain aux prises avec la mondialisation, ont annoncé jeudi les organisateurs…

Propos recueillis par Camille Delourme