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Perspectives d’une coopération responsable avec l’Afrique

Samedi 15 Septembre 2018 - 17:30

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En matière de coopération, les nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts. Le jeu stratégique qui résulte de cet adage est à somme non nulle comme celui que jouent l’Organisation de coopération et de développement économiques regroupant les pays industrialisés (OCDE) et la Chine avec l’Afrique, caractérisé par : 

1) la dépendance financière : En 2015, la Chine prévoyait de porter de 170 à 400 milliards de dollars, en 2020, son aide publique au développement (APD) à l’Afrique.  En 2018, promet 60 milliards de dollars dont le quart est constitué d’aides sans contrepartie et de prêts sans intérêts. Le reste alimente le « fonds » de développement pour l’Afrique créé en 2006, doté d’un budget de cinq milliards de dollars et des annulations des dettes de plus de 1,4 milliard de dollars en faveur de trente et un pays. L’aide de deux milliards de dollars par an, soit 10 % de l’aide totale reçue par l’Afrique, fait de la Chine le principal bailleur de fonds du continent devant les Etats-Unis depuis 2009. 70 % de cette aide sont affectés aux infrastructures de base et 30% et autres. L’APD de l’OCDE à l’Afrique est passée de trente-cinq milliards de dollars en 2007 à vingt-neuf milliards de dollars en 2017 ;

2) la dépendance économique et technologique:  Selon « Financial Times » et « Jeune Afrique » (2017), la Chine compte dix mille entreprises installées en Afrique dont un tiers est dans le secteur manufacturier, un quart dans les services, le cinquième dans le commerce, la construction et l’immobilier. Elles sont à 90% des entreprises privées et représentent soixante milliards de dollars, soit 12% de la production africaine. D’ici à 2025,  cette part  atteindra les 144 %, environ 440 milliards de dollars. Mais à peine 10 % des exportations africaines vont vers la Chine dont 70 % de pétrole, 15 % de ressources minières et 15% autres. Les importations chinoises en Afrique ne représentent que 2,5 % des importations totales du continent, principalement des produits manufacturés : textile, chaussures, appareils électroniques et de télécommunication.

Les investissements chinois en Afrique s’élèvent à onze milliards de dollars, moins de 10% de l’ensemble des investissements en Afrique et 15 % des investissements chinois à l’étranger. En 2016, l’Afrique subsaharienne affiche un coefficient de dépendance par rapport à la Chine (sur une échelle de 0 à 1) aux exportations, plus élevé que les autres pays émergents : 0,24, contre 0,16 pour l’Asie du sud-est et 0,19 pour la Russie, le Brésil et l’Inde. Le différentiel est plus important avec l’Union européenne (0,07) et les États-Unis (0,12). La part des investissements à l'étranger de l’Afrique n’est que de  douze milliards de dollars, soit 0,9 % du total ; alors que le commerce intra-régional est passé de 10% des échanges en 1995 à 18% en 2015 (BAD, 2017).

3) L’hégémonie du bailleur : Au discours altruiste modernisateur de l’OCDE qui déploie la coopération au nom du « développement » et des « Objectifs du millénaire dans une assistance  paternelle » de l’Afrique, s’oppose le discours de l’amitié et de l’égalité fraternelle de la Chine qui déploie sa coopération, au nom de la solidarité « Sud-Sud », fondée sur la tradition afro-asiatique, de la situation partagée des nations « sœurs » autrefois dominées par l’Occident.

A travers l’ajustement libéral, l’OCDE subordonne son aide aux conditionnalités économiques et politiques pour renforcer l’intégration du libéralisme en Afrique.  La signature des Accords de partenariat économique avec l’Afrique s’accompagne de l’obligation de promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance, la lutte contre le terrorisme et l’immigration irrégulière. L’absence de progrès dans cet ajustement conduit l’OCDE à réduire son aide et à légitimer son ingérence dans les affaires africaines. Au nom de la « non-ingérence », la Chine qui ne pose pas de conditionnalités particulières pourvoit un partenariat dit « gagnant-gagnant », ressources naturelles contre infrastructures, en investissant même dans les pays où la corruption et les violations des droits de l’homme empêchent tout progrès, alors que l’absence de transfert de technologie y réduit la durée de vie des infrastructures livrées clés en main. 

Ainsi, le respect des normes sociales, technologiques et environnementales par les investisseurs étrangers en Afrique étant faible, les partenaires sont mus par un jeu de coopération asymétrique. Quand les conditionnalités des uns visent à conserver un accès exclusif aux ressources naturelles et aux marchés au titre du « continent du champ », d’autre par la conquête amicale des nouveaux marchés s’enracinent sans état d’âme. Le transfert de technologie et le financement ciblé des projets à forte valeur ajoutée sont nécessaires pour promouvoir une coopération responsable et émancipatrice en Afrique.

Par Emmanuel Okamba, maître de conférences HDR en sciences de

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