Pointe-Noire : le président de la Chambre de commerce appelle l’Etat à jeter un regard bienveillant sur les entreprises

Mardi 18 Juillet 2017 - 19:00

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Le président de la Chambre de commerce de Pointe-Noire, Sylvestre Didier Mavouenzela lance, dans un entretien exclusif avec Les Dépêches de Brazzaville, un appel aux pouvoirs publics afin que ceux-ci puissent jeter un regard bienveillant sur les entreprises qui traversent actuellement une période critique due à la crise économique et financière provoquée par la baisse du prix des matières premières, notamment le pétrole.  

Depuis environ trois ans, le Congo et d’autres pays de la sous-région font face à une crise économique et financière. Pointe-Noire est considérée comme le poumon économique du Congo. Quelle est la santé des entreprises qui y sont basées ?

S D M : La santé de la capitale économique du Congo n’est pas bonne. Parce que l’économique de Pointe-Noire et du Congo était tirée par deux locomotives : le pétrole et les grands travaux d’Etat. Mais, à partir du moment où le pétrole a vu ses cours baisser, la conséquence est que l’Etat a aussi moins de ressources. Il a donc réduit sa value au niveau de sa politique des grands travaux. C’est ce qui a fait que les entreprises ont été obligées de se réajuster. Ce réajustement a consisté d’abord à réduire les coûts et parmi les charges qui ont été réduites, il y a celles liées au personnel. Mais, tout n’est pas lié, en fait, à la baisse des cours de pétrole, il y a aussi le fait que les travaux de construction, de préparation du projet Moho Nord étaient arrivés à la fin. Donc, toutes les entreprises qui étaient venues pour construire les infrastructures de production de Moho Nord ont arrêté leurs travaux. Ces entreprises avaient beaucoup d’expatriés. Un expatrié pour moi, c’est presqu’une TPE (très petite entreprise) parce qu’il a en son sein des chauffeurs, des gardiens, des jardiniers, bref du personnel de service et autour de chaque expatrié gravite au moins sept emplois.

Et si vous avez 1000 expatriés, c’est 7 000 personnes qui n’ont plus d’emploi. C’est ce qui explique aujourd’hui pourquoi Pointe-Noire se trouve dans cette situation.

Les chefs d’entreprises réunis au sein d’UniCongo déplorent les taxes abusives auxquelles ils sont astreints ces derniers temps. Qu’en dites-vous ? 

S D M : Nous avons nous-mêmes pour mission de défendre les intérêts de nos ressortissants. Il y a deux choses au niveau administratif : d’abord les tracasseries administratives et la parafiscalité, donc les taxes abusives. Au niveau des tracasseries, il faut effectivement arrêter avec cela. Au niveau des taxes parafiscales, il faut y mettre fin. Notamment, il y a une taxe qui est très emblématique. Vous savez que l’OHADA prescrit le dépôt des états financiers au niveau des greffes des tribunaux de commerce. Cette formalité d’information est gratuite et l’OHADA n’a pas conditionné cela à un paiement quelconque. D’ailleurs, dans aucun autre Etat partie de l’OHADA, cette formalité est payante. Or, il y a un arrêté pris au Congo qui conditionne le dépôt des états financiers à 2% du chiffre d’affaires, ce qui est énorme.

Et, vous savez que l’impôt et les taxes sont du domaine de la loi. Nous avons saisi les autorités pour faire annuler cet arrêté.  Parce que dans cette période difficile, nous voulons que l’Etat nous rassure qu’il nous accompagne. L’Etat, dans une économie, a deux types de pouvoirs : le pouvoir bloquant et le pouvoir favorisant. Or, nous avons l’impression que l’Etat utilise plus le pouvoir bloquant que le pouvoir favorisant, en prenant ce type de mesures. Je pense qu’il faut réduire les tracasseries administratives et que l’Etat nous trace une perspective pour pouvoir continuer à travailler sereinement.

Avez-vous entrepris des démarches auprès des pouvoirs publics pour obtenir l’annulation de la taxe incriminée ?

 S D M : Oui !  Je crois que des courriers ont été envoyés aussi bien au Premier ministre qu’au ministre concerné. Donc nous attendons aujourd’hui la suite qui sera donnée par les autorités, mais ce qui est sûr, c’est que je peux déjà vous dire que pour les entreprises, c’est inacceptable.

On constate ces derniers temps que vous multipliez des initiatives au niveau de Pointe-Noire pour essayer d’attirer les investisseurs vers le Congo. Quelle est la philosophie que vous préconisez ?

S D M : Oui ! Quelle est la philosophie ? C’est qu’en temps de crise, il faut multiplier des initiatives. D’abord, si nous faisons venir des entrepreneurs, c’est pour les mettre en lien avec les entreprises congolaises. Parce que nous sommes conscients que le principal moteur de notre économie, c’étaient les grands travaux de l’Etat. Mais, il y a encore des entreprises industrielles à partir desquelles, grâce à la sous-traitance, il y a des marges de manœuvre. Or, pour certaines prestations, les entreprises congolaises n’ont pas de capacités techniques, humaines et financières pour pouvoir prester seules. Donc, notre souhait est de les mettre en partenariat avec les entreprises étrangères pour qu’elles soient capables de répondre à ces appels d’offre. Comme vous le savez, quand il n’y a pas d’entreprises congolaises en capacités de pouvoir y répondre, ce sont les entreprises étrangères qui tirent profit du régime de l’autorisation temporaire d’exercice et après la réalisation de la prestation, ces entreprises repartent.

Il est important que nos entreprises gagnent en compétences techniques et elles ne peuvent le faire qu’en nouant des partenariats. C’est le sens de la convention que nous avons organisée. Nous l’avons d’ailleurs, à juste titre, appelé «Lisanga» parce que nous voulons un regroupement. Nous pensons que dans le domaine industriel, au niveau de la sous-traitance, il y a encore des marges de manœuvre puisqu’il y a encore des ponts entiers de sous-traitance qui sont exécutés par des entreprises qui sont sur le régime de l’autorisation temporaire d’exercice.

Nous voulons mettre les entreprises congolaises en capacités de pouvoir le faire en les encourageant à s’associer à d’autres entreprises. Organiser une convention en faisant venir des investisseurs permet aux entreprises congolaises de faire des économies sur les frais de déplacement. Elles ont donc trouvé des partenaires sur place. Cet évènement devait être juste un « one-show », mais le retour que nous avons eu des entreprises étrangères nous oblige à organiser une autre édition l’année prochaine, parce que les investisseurs ont vu effectivement que le Congo était une terre d’opportunités. Donc, il nous revient de créer des conditions pour que ces opportunités soient transformées.

Du côté congolais, qu'avez-vous ressenti auprès des hommes d’affaires ?

S D M : Les entreprises étrangères étaient venues pour rencontrer leurs homologues congolaises. Cela ne peut que se faire parce qu’elles ont rencontré les entreprises congolaises. Elles ont vu la qualité de leurs interlocutrices. C’est pour cela qu’elles nous ont demandé de rééditer cet exploit (2e édition) et nous avons déjà aussi commencé à travailler avec les chambres étrangères. Je pense que nous avons tenu compte de certaines circonstances qui ont fait que nous avons eu des gens qui n’ont pas pu faire le déplacement. Nous avons intégré cela, il y avait notamment le ramadan qui n’a pas permis à nos amis de l’Afrique de l’ouest de venir. Cette fois-ci, nous avons tenu compte de cela, la prochaine édition sera organisée la dernière semaine du mois d’avril 2018.

Vous vous apprêtez à signer un accord avec l’Association congolaise de droit maritime, quel est l’objectif que vous visez ?

S D M : L’objectif de cet accord est de nous permettre de remplir notre mission. En tant que Chambre de commerce, nous devons accompagner les entreprises qui sont dans le domaine maritime. Or en interne, nous n’avons pas cette compétence-là. L’objet de l’accord est de mettre en place un système de permanence juridique dans le domaine maritime. Nous aurons des experts de l’Association congolaise du droit maritime qui viendront à la chambre, renseigner gratuitement les entreprises sur les points du droit maritime. Nous voulons aussi organiser  des formations pour favoriser le développement des entreprises, parce que nous sommes conscients des difficultés inhérentes à cela. Il faut donc donner le maximum de facilités aux entreprises. C’est d’ailleurs le cas de la cellule économie numérique que nous avons lancée. Parce que nous nous sommes aussi rendu compte que les entreprises congolaises n’utilisent pas suffisamment le numérique. Les études de la Banque mondiale le prouvent, les entreprises qui utilisent le numérique, c’est deux ou trois points de croissance obtenue. Nous souhaitons voir les entreprises congolaises utiliser aussi le numérique pour pouvoir obtenir une réponse à la réduction des charges en cette période de récession économique.

LDB : Vous parlez des entreprises qui vivent actuellement une conjoncture morose, avez-vous un dernier mot à leur endroit ?

S D M : Oui ! Je voudrais en profiter pour lancer un appel aux autorités administratives pour qu’elles jettent un regard bienveillant sur les entreprises. Les entreprises ont besoin de deux choses : surtout les PME, vous le savez, elles ont besoin de stabilité fiscale, de moins de tracasseries. Les grandes entreprises ont les moyens de se défendre, de répondre à l’instabilité fiscale mais pas les PME. Nous souhaitons que l’Etat nous trace une perspective. Aux entreprises, je voudrais dire qu’il faut continuer à se battre, et la chambre est à leurs côtés pour les aider à traverser cette période. Pour nous, le Congo va repartir forcement sur le plan économique. Je le dis parce qu’au niveau de la chambre, je vois arriver de nouveaux investisseurs qui sont en train de monter de nouveaux projets au niveau de Pointe-Noire. C’est la preuve que la destination Congo est encore attirante et les entreprises ne doivent pas baisser les bras pour que cette période difficile passe et qu’elles rentrent dans un fonctionnement normal de leurs activités.       

Propos recueillis par Thierry Noungou et Christian Brice Elion

Légendes et crédits photo : 

Sylvestre Didier Mavouenzela, Adiac

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