Religion : Mourir au nom de Dieu, tuer au nom de Dieu

Samedi 22 Août 2015 - 9:45

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Au fil des siècles, les peuples se sont livrés à des atrocités féroces au nom de Dieu. Les islamistes d’aujourd’hui n’inventent rien comme le démontre Max Gallo.

S’indigner aujourd’hui des horreurs islamistes, c’est oublier l’histoire qui bégaye ; ces horreurs ne sont pas une nouveauté, nous dit Max Gallo. Il montre que tuer au nom de Dieu est aussi vieux que le monde des hommes. Mais surtout, soutient-il en creux, au long de l’Histoire, les auteurs et les victimes ont assumé des rôles interchangeables. Ceux qui tuent aujourd’hui furent aussi tués dans le passé, avec la même hargne et dans les mêmes proportions de gravité, car il n’y a rien de  nouveau sous le soleil.

Tout se passe comme si les horreurs n’avaient plus de limite, que le sacré ne devait plus se décliner en termes de respect de la vie et de la croyance des autres. Au contraire même : tout se passe comme si ces croyances-là ne sont bonnes que pour justifier tout dépassement des limites du permis, pourvu qu’il s’agisse d’une croyance – la bonne foi – qui prime sur toutes les autres destinées à être écrasées et anéanties. L’Etat islamique décapite ; Boko Haram brûle, viole et éventre ; les Shebabs somaliens proclament : « Grâce à Dieu, nous avons tué des impies». Au nom du dieu bon de son camp, tous les autres ne valent pas même qu’un minaret reste debout s’il ne fait pas le bon choix du bon dieu dans la bonne formulation avec les mêmes apparats. Regarder un match de foot est frivole, mais violer une femme ou la réduire en esclave est vertueux.

Alors chrétiens ; musulmans chiites ou sunnites, suivant le point où l'on se situe, minoritaires ou non, pacifiques, velléitaires autonomistes ou simplement tolérants : tout est cible potentielle de la colère du dieu, incarnée et exercée par ses plus fidèles prosélytes. Et d’ailleurs que veut dire « être tolérant » : vivre en paix aux côtés de personnes dont on ne se préoccupe pas de savoir s’ils font le signe de croix ? Ou s’ils le font de la gauche vers la droite ou le contraire ? D’un barbu ostensible et ne pas se préoccuper s’il a un coutelas au pli de la tunique ? Ni s’il accepte qu’on reste chez soi griller son  poisson salé pendant que lui se rend à la mosquée, au temple ou à la paroisse ?

Dans un petit livre (petit, parce que ce sont 200 pages qu’on lit d’une traite), le journaliste-historien-académicien Max Gallo nous apprend – « rappeler », serait peut-être le verbe qui siérait le mieux ! – que tout cela n’est nouveau que pour qui veut aujourd’hui ne pas avoir la curiosité historique suffisante. Car, écrit-il, les chrétiens ont eux aussi allègrement massacré, trucidé, violé, pillé ! La première croisade, appelée par le pape Urbain II – un Français ! – en 1095 ne fut ni une guerre sainte, ni un témoignage de fraternité. Sous le prétexte de marcher sur Jérusalem et la Terre Sainte pour délivrer le Saint Sépulcre souillé et avili par les mahométans turcs, des chrétiens s’ébranlèrent à pied, à cheval ou en bateau et se ruèrent sur « les impies ».

En chemin, leurs passages ne furent que pillages, saccages et incendies, viols et décapitations et même cannibalismes lorsque, tenaillés par la faim et la soif, les croisés en furent parfois réduits à déterrer les corps putréfiés des Turcs ou des autres chrétiens pour ne pas mourir d’inanition. Max Gallo rappelle des vérités qui auraient eu rang d’évidence si le recul historique était la faculté la mieux partagée du monde : tout cela se faisait au nom de Dieu. C’est d’ailleurs le titre du livre : « Dieu le veut » (XO Editions, mai 2015, 200 pages). Car il s’agit d’interpréter la volonté de Dieu et d’aller l’imposer à ceux qui y sont rebelles ou opposés.

Alors tout peut recevoir lumière et gloire pourvu de le faire au nom de Dieu. Reprendre un ancien lieu de culte occupé par des impies et y faire couler plus de sang qu’on ne peut imaginer ? C’est un minimum. « Je suis entré dans le temple de Salomon devenu la mosquée Al Aqsa avec un groupe de chevaliers et nous fîmes un tel carnage que le sang montait jusqu’aux chevilles », raconte le héros du livre, le chevalier croisé Guillaume de Thorenc. Ces enthousiastes chrétiens avaient quitté leurs pays : France, Allemagne, Italie (qui ne s’appelaient pas encore ainsi), Espagne et/ou Portugal à 300.000. Seuls 30.000 d’entre eux atteignirent Jérusalem le 15 juillet 1099 en libérateurs de la ville sainte. Un détail.

C’était temps de guerre. Il s’agissait de la mener, celle-là ou toute autre, quelle que soit la conviction, suivant le même principe de faire couler le plus de sang, de tuer le maximum d’ennemis et d’appeler « sacrifice » le sang qui coule dans son propre camp. Hier comme aujourd’hui. Car, rappelle l’académicien, « rouge de sang est toute guerre. Aucune n’est sainte.». L’oublier aujourd’hui, c’est se donner des raisons factices; justifier l’injustifiable pour ne pas voir en l’autre un être créé peut-être par le même dieu, ou en tout cas astreint au même respect de l’immanence révérencieuse et fondatrice. Volontaire. Quel que soit le nom qu’on lui donne ; qu’on la sculpte, grave dans du marbre, la porte en médaillon ou seulement dans son cœur ; qu’on la vénère en chapelet, à pied ou à genou.

Le récit de Max Gallo met en situation de révolte et de remise en cause au fil des pages, comme si l’on voulait retenir l’Histoire par un pan pour qu’elle ne balbutie plus. Or c’est au constat accablant de la bêtise humaine, autoreproductrice comme une paramécie qui s’impose qu’on arrive. L’homme, décidément, aime à répéter les erreurs des autres, celle des chrétiens d’hier par les islamistes d’aujourd’hui. Mais la remise en cause à laquelle on aboutit fatalement après lecture de ce livre est peut-être aussi sa faiblesse : car il semble bien commode de condamner les atrocités d’hier au nom d’une morale d’aujourd’hui. Les droits de l’homme n’avaient aucun sens au 11è siècle, malgré le fait que 100 siècles plus tôt, un certain Jésus-Christ était venu annoncer la Nouvelle Alliance qui proclamait : « si on te frappe d’une joue »…

Lucien Mpama

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