« Retenez vos immigrés et gardez-les dans vos propres prisons ! »

Jeudi 12 Mars 2015 - 18:45

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L’Union européenne souhaite que les migrants soient retenus dans des centres de rétention dans des pays africains limitrophes de l’Europe.

L’idée était dans l’air, elle commence à sortir des cartons et des simples hypothèses soutenues par des politiciens populistes. L’idée ? Trop de migrants à l’assaut de l’Europe à partir des côtes de l’Afrique du Nord ; il faut juguler ces flux. Et trier hors-Europe qui, parmi les candidats à l’entrée, remplit effectivement les critères pour pouvoir y postuler au statut de réfugié. Car entre l’entrée sur le territoire européen (le plus souvent à partir des îles italiennes de Sicile) et l’examen des demandes des requérants il s’écoule un grand temps.

Période durant laquelle s’impose  quand même l’obligation d’installer les arrivants dans des structures, quelles qu’en soient les conditions ; de les soigner, les nourrir et remplir les devoirs humanitaires qui s’imposent. C’est une mobilisation de compétences, une sortie d’argent, une pression sur des économies et des opinions déjà en surchauffe. La solution serait donc de retenir ces pauvres hères dans les pays à partir desquels ils embarquent pour l’Europe. Et plus particulièrement en Libye. Il s’agirait de dire à l’Afrique, par exemple : « sois la gardienne de tes désespérés ! »

Cela se murmurait. Mais le journal britannique Guardian a été parmi les premiers à révéler les choses et puis jeudi une réunion officielle des ministres européens a discuté ouvertement de l’affaire. Un document confidentiel du HCR, le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés, suggère par exemple de retenir en un lieu de rétention les réfugiés provenant de Syrie et qui passent par la Grèce ou par l’Italie. Vincent Cochetel, directeur Europe du HCR, recommanderait que cette expérience ne concerne, pour un an, que les requérants Syriens. Le but serait de mieux répartir le poids de leur présence entre divers pays d’Europe, car l’Italie notamment se plaint souvent de devoir supporter seule une telle contrainte.

Il s’agirait, selon ce document, de voir la possibilité d’installer des « safe harbours » (ports sécurisés) dans trois pays africains du pourtour méditerranéen : Egypte, Tunisie et Libye. De là, les migrants qui en remplissent les conditions seraient dirigés vers les pays européens. Le ministre italien de l’Intérieur Angelino Alfano souhaite que ces migrants  soient répartis sur 28 Européens, y compris la Grande-Bretagne qui a pourtant marqué un certain agacement à devoir accueillir des migrants supplémentaires sur son territoire au cours des derniers mois. « La pression migratoire ne cesse d'augmenter », a affirmé jeudi le ministre letton de l'Intérieur, Rihards Kozlovskis. L’agence européenne pour la surveillance des frontières, Frontex, affirme que les « franchissements illégaux » ont triplé, passant de 100.000 à 274.000 entre 2013 et 2014.

En une année, les traversées de migrants et de demandeurs d'asile en Méditerranée centrale vers l'Italie ont pratiquement quadruplé, passant de 45.000 à 174.000. Elles ont doublé en Méditerranée orientale avec 50.000 arrivées, et sont passées de 20.000 à 37.000 dans les Balkans à la frontière entre la Hongrie et la Serbie. Près de 8.000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes depuis le début de l'année et, selon le patron de Frontex, le Français Fabrice Leandri, entre 500.000 et un million de migrants seraient prêts à embarquer depuis les côtes libyennes.

L’Europe est d’autant plus déterminée à se barricader et se blinder aux frontières que les contrôles sont devenus une nécessité pour se protéger de la menace chaque jour des mouvements djihadistes. Ce sera également une des toute-premières armes pour contrer l’autre djihadisme plus difficile à cerner, celui des jeunes européens radicalisés qui partent combattre en Syrie et en Irak avant, pour certains, de revenir dans leur pays y perpétrer des attentats. En France, au Canada et même en Grande-Bretagne le scénario s’est déjà traduit en réalités d’horreurs.

Lucien Mpama