Révision de la Constitution : les stratèges de la majorité se déchaînent

Jeudi 20 Mars 2014 - 14:47

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Faisant fi des scenarii concoctés par les bonzes du régime pour garantir à Joseph Kabila un troisième mandat successif, les opposants, eux, plaident pour que les engagements pris par les concertateurs soient respectés et que l’article 220 de la Constitution ne soit ni touché ni révisé.

Le débat continue d’enfler au sein de la classe politique congolaise au sujet de la représentation de Joseph Kabila en 2016 aux fins de briguer un troisième mandat au mépris de l’article 220 de la Constitution. En lieu et place de l’intéressé aphone sur la question, ce sont ses lieutenants de la majorité qui donnent de la voix sur fond de contradiction quant à la position à suivre. Jamais le camp présidentiel n’a été aussi secoué dans sa cohésion eu égard aux approches divergentes développées par ses cadres n’ayant pas tous la même perception des enjeux. Deux tendances se dégagent au sein de la « mouvance kabiliste » par rapport à la révision constitutionnelle présentée comme l’unique voie de sortie pour lever le verrou de la limitation du mandat présidentiel et permettre ainsi à Joseph Kabila de rempiler pour un troisième mandat.

La première incarnée par le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD) ne fait plus mystère sur ses intentions de déverrouiller l’article 220 fixant le nombre des mandats présidentiels. Le PPRD est soutenu dans cette démarche par plusieurs partis alliés et par des indépendants qui tiennent mordicus à la sauvegarde de leurs intérêts. Premier à avoir exhumé le sujet à travers son ouvrage « Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la Nation », Évariste Boshab, secrétaire général du PPRD, est aujourd’hui rejoint par d’autres ténors du parti qui vont au-delà des axiomes pour édicter des règles de jeu. Le débat académique a, de ce fait, été sacrifié sur l’autel des intérêts politiques. Là-dessus, le sémillant Claude Mashala apparaît comme celui que la majorité avait choisi pour dire tout haut ce qui se concocte en dessous des tables. Une façon de préparer l’opinion par rapport aux chamboulements qui s’annoncent.

Retouche de la constitution ou rien

Sans ambages, le secrétaire national du PPRD a, à la faveur d’une récente intervention médiatique, évoqué la non-organisation des élections en 2016 compte tenue de certains préalables non encore satisfaits (organisation du recensement général, découpage territorial, établissement des cartes d'identité, structuration de la Céni, etc). Plus, il a envisagé la possibilité de modifier la loi fondamentale pour ouvrir la voie à plusieurs mandats présidentiels afin de permettre au chef de l’État d’achever son programme de gouvernance dénommé « révolution de la modernité ». Et pour allier l’acte à la parole, une pétition en faveur de la révision de la Constitution a été initiée par le même Claude Mashala. Entre-temps, certains bonzes de la majorité soutiennent la modification du mode de scrutin pour la présidentielle qui passerait au suffrage indirect, et celle relatif à la durée du mandat du chef de l’État. D’autres, visiblement mieux inspirés, vont jusqu’à préconiser l’instauration d’un régime présidentiel fort et de la création d’un poste de vice-président de la République, etc. Tous ces schémas non encore actés officiellement viseraient, de l’avis d’un observateur, « à asséner un coup fatal à l’actuelle Constitution pourtant adoptée par référendum et qui, au départ, avait reçu le quitus de ceux qui la vilipendent aujourd’hui pour des raisons politiciennes ». 

Simples hypothèses

L’autre tendance au sein de la majorité incarnée cette fois-ci par l’aile modérée milite en silence pour le strict respect de la Constitution. Plusieurs discours développés par quelques cadres de la majorité entendus sur les ondes des médias périphériques n’ont cessé de marteler sur cet aspect de choses. « Le président Kabila respectera strictement ce qui est écrit dans la Constitution. Il nous a dit qu’en 2016, il y aura un passage de flambeau civilisé entre un président qui sort et un président qui entre », avait rassuré Lambert Mende au cours d’une émission diffusée sur RFI et TV5 le 9 mars. Auparavant, C’est Aubin Minaku qui annonça dans une interview à Jeune Afrique que le président de la République allait respecter la Constitution du pays. « C'est lui qui a amené le peuple, par référendum, à adopter les dispositions constitutionnelles, du premier au dernier article. Il en est le garant, il les respecte et les fera toujours respecter », avait-il alors martelé. Cependant, cette deuxième tendance paraît minorisée dans un camp présidentiel où le credo dominateur se cristallise autour de la prolongation du mandat de Joseph Kabila. Par ailleurs, la question de lui trouver un successeur en vue d’assurer l’alternance démocratique n’est évoquée que sur les bouts des lèvres.

Tout comme en 2006, le camp présidentiel se préparerait, au cours de la présente session parlementaire, à faire passer ses thèses en force en activant sa majorité mécanique au grand dam d’une opposition affaiblie et en manque de moyens. Martin Fayulu peine à recueillir les 100.000 signatures requises pour faire passer sa pétition contre toute velléité de révision constitutionnelle. Les opposants plaident pour que les engagements pris par les concertateurs soient respectés et que l’article 220 de la Constitution ne soit ni touché ni révisé. Ils sont rejoints dans leur combat par la société civile, elle-aussi écartelée en interne dans sa manière d’appréhender les enjeux.

Pour la majorité, tous ces scenarii évoqués ne constituent que des simples hypothèses de travail émises pour alimenter le débat politique. L’opposition, quant à elle, attend que ces propositions soient portées devant l’Assemblée nationale pour lever le bouclier. En attendant, elle exhorte le chef de l’État en tant que garant des institutions et de leur bon fonctionnement à éclairer l’opinion. Au-delà de la polémique, l’application de l’article 70 de la Constitution tend à mettre un bémol aux prétentions des uns et des autres. Car, à défaut d’organiser la présidentielle de 2016 dans le délai (une hypothèse de plus en plus crédible), l’actuel président restera « en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ». Une autre possibilité susceptible de prolonger de fait le mandat de Joseph Kabila en prenant appui sur les tergiversations d’un processus électoral qui ne rassure guère. Dossier à suivre.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Joseph Kabila Kabange