Roger Kaluwa : « D’ici à 2025, nous voulons faire de l’Afrique un exportateur net des produits agricoles »

Jeudi 1 Juin 2017 - 20:11

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Du 22 au 26 mai 2017, l’Afrique a parlé d’une seule voix à Ahmedabad, en Inde. Les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) ont permis non seulement de faire le point sur l’état de la coopération entre l’Inde émergente et l’Afrique mais aussi de se projeter dans l’avenir. Le secret de l’avenir africain se résume en un mot : diversification. L’Afrique veut se donner une chance de mettre en valeur une de ses richesses sous-exploitées, en l’occurrence l’agriculture. Le Courrier de Kinshasa s’est entretenu avec Roger Kaluwa, expert de « Global Strategies ». Il a pris une part active à ces travaux. Et selon lui, les 5 chantiers prioritaires de la BAD paraissent comme une feuille de route bien structurée pour une transformation de l’agriculture dans les pays de la région, particulièrement la RDC.

Le Courrier de Kinshasa : Que peut-on retenir globalement comme décisions fortes de ces Assemblées Annuelles de la BAD par rapport à la transformation agricole de l’Afrique ?

Roger Kaluwa : Comme vous le savez, il s’est tenu du 22 au 26 mai 2017 à Ahmedabad (Gujarat, Inde) la session des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement dont le thème principal était « Transformer l’agriculture pour la création des richesses en Afrique ». Nous (tous les délégués, officiels et experts) avons insisté sur la transformation agricole, mais plus sur l’agriculture. Le maître-mot était l’agro-business. Nous voulons faire de l’agriculture une activité lucrative. Ces assemblées ont permis de définir les stratégies de transformation de l’agriculture pour renforcer la sécurité alimentaire et accroitre la résilience aux changements climatiques. Près de 3000 délégués, officiels et experts ont examiné les différentes options stratégiques. Ensemble, nous avons formulé des propositions visant à libérer le potentiel africain pour une transformation économique tirée par l’agriculture. D’ici à 2025, nous voulons faire de l’Afrique un exportateur net des produits agricoles, par opposition à son statut actuel d’importatrice (près de USD $110.00 Billion par an d'importations). Nous voulons aussi éliminer la sous-alimentation qui frappait plus de 240 millions des personnes en 2015. Nous jugeons indispensable d’extirper 130 millions des personnes de la pauvreté extrême. Enfin, nous comptons doubler la part de marché de l’Afrique sur certains produits agricoles transformés. Et de manière globale et immédiate, nous allons diriger les ressources de la BAD vers les chaines des valeurs agricoles prioritaires et la création des zones agro-écologiques. Quant aux moments forts, il y a eu les rendez-vous présidentiels entre les chefs d’Etats, les chefs des gouvernements et/ou les ministres délégués, dotés de pouvoir politico-administratif et de capacité d’engager leurs nations. Ceux-ci sont allés discuter et négocier aussi bien avec la BAD qu’avec le gouvernement de l’Inde, les bénéfices concrets en faveur de leurs pays respectifs. Au-delà, nous pouvons citer les discussions et débats sur les investissements, les forums des industries culturelles en vue de stimuler la transformation économique du continent et les échanges d’expériences et des bonnes pratiques sur les politiques de transformation de l’agriculture. Dans toutes ces séances, le continent africain a réaffirmé sa détermination à augmenter sa production alimentaire en investissant dans la technologie et l’innovation. C’est ce que l’on a appelé « L’accélération de la mise en œuvre de la Stratégie décennale de la BAD par le biais des 5 chantiers prioritaires ». La BAD a appelé à un leadership déterminant et ambitieux de chaque pays membre pour la transformation de l’Agriculture.

L.C.K. : Plusieurs dirigeants de la région ont participé à ces travaux, parfois au plus haut niveau. Parlez-nous de la participation de la RDC ?

R.K. : Je me limiterai à parler de la présence. Pour le compte de la RDC, il y a eu un chef de cellule ou chef d’une unité de pilotage de quelques services du ministère des Finances qui était le délégué du ministre congolais de Finance. Nous avons vu aussi le Vice-gouverneur de la Banque Centrale et le DGA du FPI. Par contre, il n’y avait pas une présence décisionnelle. Le pays n’était pas représenté par le président de la République, le Premier ministre ou un ministre. Dans les discussions présidentielles de haut niveau, la RDC n’avait pas de voix qui puisse se faire entendre.

L.C.K. : Quel est le poids de l’Inde dans le volume des échanges entre l’Afrique et l’Asie ?

R.K. : Nous parlons d’un espace habité par 2 milliards de personnes (indiens et africains). Lors des sessions d’AfDB AM2017, la coopération entre le continent africain et l’Inde a été définie comme étant un partenariat pour une croissance et développement jumelés. Une participation indienne à l’industrialisation de l’Afrique est nécessaire pour promouvoir les chaines des valeurs des peuples africains, un partenariat gagnant – gagnant caractérisé par une ouverture à l’environnement d’affaires plutôt que par les aides et financements. Les dirigeants africains ont dénoncé le caractère exploitant de certains investissements étrangers en Afrique, comme ceux des Chinois. En effet, ceux-ci viennent en Afrique avec leurs machines et leur main d’œuvre pour se servir de l’espace africain et réaliser des gains. Les participants ont plutôt insisté sur la nécessité d’un partenariat qui tienne compte des besoins réels des locaux. Le partenariat entre l’Inde et l’Afrique devient indispensable pour les deux parties. Il est important de penser à des renforcements stratégiques qui ouvrent la voie à plus de coopération dans les domaines des 5 chantiers prioritaires de la BAD : sécurité énergétique, sécurité alimentaire, commerce et l’investissement, soins de santé, technologies de l’information et de communication, et protection de l’environnement. D

L.C.K. : L’Afrique est-elle aussi présente dans le marché indien ?

R.K. : L’Afrique n’est pas vraiment présente dans le marché indien mais elle s’impose, comme elle le fait partout ailleurs. En 2013, les « Global Strategies » projetaient déjà que, dans la perspective 2015-2065, aucune banque, institution ou pays ne peut faire véritablement des affaires sans mener des opérations sur le continent africain. Lors des Assemblées Annuelles de la BAD, nous, les experts, sommes largement revenus sur la place de l’Afrique au cœur des marchés du monde, notamment indien et asiatique. Le gouvernement indien et la BAD ont reconnu la nécessité d’améliorer les conditions de vie des peuples dans ces deux régions dans le cadre de leurs partenariats et leurs coopérations d’affaires. Mais c’est aux Africains eux-mêmes de faire valoir les besoins de leurs populations. A chacun d’élaborer son propre programme et de dévoiler ses ambitions.

L.C.K. : Y a-t-il des secteurs où cette coopération indo-africaine peut être renforcée ?

R.K. : Oui. L’Inde renforce sa coopération avec l’Afrique en partant des besoins exprimés par le continent africain. Faisant écho aux objectifs 2063 de l’Union Africaine, lesquels s’inscrivent dans la ligne des Objectifs du développement durable, la BAD s’est fixée 5 priorités pour aiguiser et accélérer le développement économique durable et le progrès social des pays membres régionaux. Ces 5 priorités déterminent les secteurs les plus élémentaires de la vie humaine. L’Inde s’est engagée à focaliser ses fonds dans les domaines comme le courant électrique, la croissance des énergies vertes, l’agriculture, le développement humain et social, le secteur privé, les infrastructures et l’industrialisation.

L.CK. : Quelles sont les expériences indiennes qui ont suscité un certain intérêt de la part des Africains ?

R.K. : La première des expériences indiennes qui attire l’attention du continent africain est bien entendu « la révolution verte », avec son programme de donner de la nourriture de qualité à chaque citoyen Indien. Il s’agit, en effet, de la prise du sol, des espaces arables et de la transformation des produits agricoles en vue de réaliser l’autosuffisance alimentaire et d’exporter. Mais rien ne peut être exporté à l’état brut. Par ailleurs, il a ajouté le domaine de la sécurité énergétique et de l’électrification de l’Afrique, l’éducation et le développement des talents, le partenariat dans le domaine des soins de santé et l’industrie pharmaceutique, le partenariat dans le domaine de la modernisation des structures administratives (e-Governance) et le développement des infrastructures.

L.C.K. : L’agriculture représente aujourd’hui un grand défi pour l’Afrique qui n’est pas qu’un réservoir de matières premières. Vous avez parlé d’une initiative africaine pour pousser plus de diplômés dans l’agriculture. Qu’est-ce que cela donne globalement sur le terrain ?

R.K. : Il existe des défis réels et multiformes auxquels sont confrontés les jeunes. Quelques efforts donnent aujourd’hui leurs fruits. Malheureusement ces efforts sont conjugués et expérimentés dans très peu d’endroits. Le principal défi est le manque d’emploi et le conditionnement des jeunes à évoluer dans les secteurs informels. Nous vivons aujourd’hui dans une Afrique où 35% des jeunes femmes et 20% des jeunes hommes n’exercent aucun emploi et ne suivent aucune formation. La RDC compte près de 47% des jeunes femmes et 40% des jeunes hommes qui, jusqu’à l’âge de 40 ans, n’exercent aucun emploi et ne suivent aucune formation. Les efforts qui sont conjugués ailleurs ne s’appliquent nullement sur la RDC, car considérée comme un Etat fragile dans lequel les jeunes font face à plusieurs autres difficultés de vie. En effet, les études démontrent que près de 60% des jeunes ont rejoint les bandes armées, les gangs et les mouvements « Kuluna » faute d’emploi. Les efforts de relance et de transformation de l’agriculture démontrent que lorsqu’un Etat s’active à relever le défi de l’emploi chez les jeunes, il est en mesure d’améliorer la qualité de vie et de réaliser la croissance inclusive pour poursuivre ces améliorations à l’avenir.

L.C.K. : Quelles sont les principales contraintes à l’éclosion de l’agro-industrie en Afrique et les pistes dégagées pour en sortir ?

R.K. : Comme nous l’avons indiqué, l’éclosion de l’agro-industrie en Afrique nécessite une grande et forte volonté politique capable de mettre en place les mécanismes de régulations et de suivi des actions qui accompagnent cette volonté politique. Les 5 chantiers prioritaires de la BAD nous paraissent comme une feuille de route bien structurée, un canevas qui puisse permettre une transformation effective de l’agriculture dans les sociétés de l’Afrique subsaharienne, comme la RDC.

Laurent Essolomwa

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Roger Kaluwa, expert

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