Sécurité : Maya Kandel explique la stratégie militaire américaine en Afrique

Jeudi 26 Février 2015 - 18:30

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La Maison Blanche a publié le 07 février dernier sa dernière « National Security Strategy » (Stratégie de défense nationale). L’occasion pour revenir sur la stratégie militaire américaine en Afrique avec Maya Kandel, directrice du programme sur les Etats-Unis à l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire) et chercheuse associée à l'Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle. Entretien.

LDB: Comment Obama se distingue-t’il de Bush en termes de stratégie militaire en Afrique ?
Maya Kandel : Obama a été élu en 2009 pour créer une rupture avec les années Bush et sa politique d’engagements militaires massifs des années 2000 en Irak ou en Afghanistan. En arrivant au pouvoir, il a défini rapidement une formule d’un nouveau leadership américain : le smartpower qui passait par une transformation de la façon de mener les engagements militaires mais, concernant l’Afrique, il existe des liens de continuité très forts. La stratégie des Etats-Unis redéfinie en 2012, met l’accent sur de nouvelles approches innovantes et à faible coût. On parle de light footprint (empreinte légère). L’idée est d’avoir un engagement américain beaucoup plus discret, qui s’appuie sur des forces spéciales et une approche indirecte basée sur des collaborations avec les armées locales. C’est ce « leadership en retrait » qui a été mis en œuvre en Lybie.

LDB: Peut-on résumer la philosophie du Smart power  en « moins de grosse artillerie et plus de diplomatie » ?
M.K : Le Smart power repose sur la prise de conscience que la présence militaire américaine a des effets contre-productifs. Après la mort de 18 soldats américains à Mogadiscio en Somalie en 1993, suivie du retrait précipité des forces américaines, l’idée que l’empreinte au sol, la présence militaire en Afrique devrait être discrète et l’engagement direct, secret, s’est imposée. On sait maintenant qu’il y existe des accords avec les autorités de certains pays autorisant des frappes de drones par exemple au Yémen ou en Somalie. Cependant, l’essentiel des drones utilisés en Afrique le sont pour de la surveillance.

LDB: Un autre concept utilisé est celui du leadership from behind  pouvez-vous nous en toucher deux mots ?
M.K
 : Cette formule a été utilisée au moment de l’intervention américaine en Lybie, en 2011. Il s’agit en effet, d’une stratégie inédite pour les Etats-Unis, d’une intervention unilatérale impliquant les USA, mais cependant dans  laquelle ils ne sont pas positionnés dans un rôle de leader. Cette formule très emblématique de l’approche d’Obama a de plus l’avantage de coûter beaucoup moins cher. Les contraintes budgétaires consécutives à la crise de 2008-2009, la plus grave récession que le monde ait connu depuis la crise de 1929, pousse à s’intéresser à des solutions africaines aux problèmes africains. Mais cette stratégie fait courir le risque d’une instrumentalisation par certains gouvernements.

LDB: Ne touche-t’on pas aux limites de cette approche avec les Shebbabs ou Boko Haram ?
M.K : La réussite de la Somalie a provoqué la détérioration de la situation au Kenya, de même que la lutte contre Boko Haram a provoqué son internationalisation. Les Américains  se sont distanciés de l’armée nigériane, accusée d’avoir violé les droits de l’homme, en raison d’un certain nombre de lois liées à l’assistance militaire encadrée par le Congrès. La collaboration est plus étroite avec le Kenya qui est un allié de longue date et fait partie des pays recevant beaucoup d’aide américaine.

LDB: L’Afrique a longtemps été un lieu d’affrontements stratégiques entre la France et les USA, les deux pays ont-ils réellement les mêmes intérêts dans leur nouvelle coopération sur le continent ?
M.K
: Il y a longtemps eu une rivalité entre les deux pays, notamment dans les années 1960-70. Un tournant s’est produit sous Sarkozy, puis un approfondissement de la coopération avec l’intervention Serval au Mali. Celle-ci a surpris les Américains. Ceux-ci sont assez admiratifs de ce que la France a fait au Mali et dans la zone sahélienne, avec l’opération Barkane. Dans l’échelle de déploiement américain, on est dans l’empreinte légère, mais les troupes françaises sont sur le terrain. C’est une configuration que les Américains ne maîtrisent pas : ils vont tout de suite envoyer 100.000 hommes avec une ville américaine autour. France et Etats-Unis n’ont pas exactement les mêmes intérêts, mais la collaboration avec la France s’est imposée dans le cadre de la redéfinition de la stratégie US. Les deux pays éprouvent également des contraintes financières les incitant à collaborer. Des deux côtés il y a une vision très proche et le vocabulaire français se rapproche des éléments de langage américains, notamment après les attaques contre Charlie Hebdo. On entend de plus en plus en France une rhétorique proche de la « guerre contre le terrorisme ».

Maya Kandel, directrice du programme sur les Etats-Unis à l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire) et chercheuse associée à l'Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle est l'auteure du Blog: froggybottomblog.com 
Elle a dirigé  La stratégie américaine en Afrique, Etude de l’IRSEM n°36 publiée en décembre 2014

 

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou