Sécurité routière : les accidents de circulation en inquiétante augmentation

Mercredi 19 Février 2014 - 16:15

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Les statistiques du Bureau central des accidents (BCA) de la ville capitale, font état de 1781 accidents sur la voie publique l’an dernier, dont 65 mortels, pour 101 morts et 1399 blessées. Ces chiffres indiquent une augmentation inquiétante depuis 2002. Dans cette interview exclusive, Jonas Babindamana, promoteur d’une auto-école et formateur aux réunions de sensibilisation sur la sécurité routière, revient sur les causes d’une situation qui ne cesse de préoccuper les autorités policières

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Quelles sont, selon vous, les causes qui expliquent la nette augmentation des accidents depuis quelques années ?

Jonas Babindamana (JB) : Les causes des accidents sont multiples. Ministère des Transports, auto-écoles et usagers de la route, voire propriétaires des véhicules, doivent se partager la responsabilité. Par exemple, les propriétaires des véhicules, les « patrons » qui assurent le transport en commun, mettent leurs chauffeurs sous pression pour la recette quotidienne à ramener. Chaque propriétaire a son propre taux journalier : cela pousse les chauffeurs de taxi ou autres à adopter un certain comportement dans la circulation. Ils n’ont en tête que l’idée de rapporter de l’argent au patron, et enfreignent le Code de la route dans leur quête effrénée d’argent.

LDB : Mauvaise conduite rime avec mauvaise formation ? Quel est le profil de ceux qui sont à la tête des auto-écoles ?

J.B. :  À notre niveau, effectivement, la problématique est posée par le fait que l’État congolais qui nous a légué cette activité n’a pas prévu d’organiser un centre de formation des moniteurs d’auto-écoles. Cela n’existe pas encore au Congo. La plupart des moniteurs ont été formés par les anciens, ceux qui exerçaient à l’époque de la libéralisation du secteur. Cela a conduit à une prolifération des auto-écoles, un phénomène que nous constatons de plus en plus à Brazzaville. Les opérateurs économiques qui se lancent dans cette activité ne trouvent pas de moniteurs formés. Ceux qui ont une certaine expérience sont déjà casés dans les auto-écoles ; du coup, ils prennent des jeunes qui savent conduire une voiture et les mettent dans ces auto-écoles, ce qui sous-entend que les chauffeurs-formateurs n’ont pas une connaissance complète du Code de la route. Ils transmettent, hélas, des erreurs aux futurs chauffeurs.

LDB : Quelle est, selon vous, la responsabilité de l’Administration publique dans cette situation ?

J.B. : Au niveau de la Direction générale des transports terrestres ou bien de la direction départementale, il y a bel et bien des défaillances. On peut citer le manque de suivi des activités que nous menons, nous, auto-écoles. Aucune descente pour constater comment sont dispensés les enseignements par exemple. Résultat : chacun fonctionne selon la vision qu’il se fait de cette activité lucrative, sans se focaliser sur la qualité de la formation, le but étant de faire des bénéfices avec les inscriptions. Du coup,  il y a des auto-écoles qui ne suivent pas les programmes comme il se doit : donc, des manquements aussi de ce côté.

LDB : Depuis quand les choses vont-elles aussi mal ? La procédure de délivrance du permis de conduire est-elle toujours aussi discutable ?

J.B. : J’incrimine une fois de plus l’Administration publique parce qu’il fut un temps, en 2003 précisément, où la Direction générale des transports terrestres (DGTT) avait suspendu les examens de permis de conduire à Brazzaville et ses environs dans les catégories supérieures, et la catégorie B en particulier. Si l’on parle aujourd’hui de faux permis à Brazzaville, cela date de 2003, parce qu’auparavant on n’en parlait pas.


LDB : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

J.B. : Lorsqu’on a pris la décision de suspendre les examens, les gens se sont tournés vers l’Administration du territoire chargée de délivrer les permis de conduire. La DGTT, elle, se limitait à l’organisation des examens. Une fois les dossiers reçus et traités, il y avait un examen de passage. Ensuite seulement intervenait l’envoi des rapports d’examen à la Direction générale de l’administration du territoire (DGAT), lieu où, au final, étaient délivrés les permis rouges (les permis en carton rose).

LDB : Le manque d’examen de permis de conduire en bonne et due forme a donc occasionné du désordre ?
J.B. : En 2003, les Congolais se tournaient vers la DGAT pour obtenir un permis de conduire. Les examens étant supprimés, il suffisait à cette époque de déposer un dossier d’identification et de l’argent à l’Administration du territoire pour l’établissement du permis de conduire. Ce sont ces permis de conduire qui actuellement ne sont pas reconnus par la DGTT parce qu’ils ne figurent pas dans le fichier général. Les faux permis portent d’ailleurs les cachets et les signatures des responsables et cadres de l’Administration pendant les années où il y a eu quasiment un vide.

LDB : Pour en venir à votre activité, de quelle structure dépendez-vous ?

J.B. : En tant qu’auto-école, c’est l’Administration du territoire qui nous a cédé cette activité. Cela sous-entend que cette structure devrait avoir un droit de regard sur les auto-écoles. Mais comme je l’ai dit plus haut, il y a un manque criant de suivi.

LDB : Monsieur Babindamana, vous venez de brosser un tableau sombre de notre administration en charge de la circulation routière dans son ensemble. Comment se passe, dans les faits, la formation de chauffeurs remise en cause aujourd’hui ?

J.B. : Aujourd’hui, les accidents que nous déplorons sont dus à la base au manque de formation. Nous devons en assumer la responsabilité. Les Congolais ne se forment pas ;  ils commencent dans le lavage ou le parking des voitures, puis démarrent leur carrière d’abord en tant que « chargeur », ensuite comme contrôleurs, puis au final deviennent chauffeur. Étant donné qu’ils ne passent pas par le biais des auto-écoles, ils finissent par obtenir de faux permis, rassurés par leur expérience acquise sur le tas.


LDB : On parle peu de la signalisation à assimiler en formation, mais vous conviendrez que nos routes ne sont pas très équipées en la matière…


J.B. : La route doit effectivement « parler ». Elle ne parle qu’à travers des signaux, des symboles ; le langage est codé et nécessite un apprentissage, qui est assuré par l’auto-école. À Brazzaville, de nombreux conducteurs ignorent le Code de la route et ne savent pas interprété, lorsqu’ils existent, les panneaux de signalisation… Un autre aspect que je tiens à souligner en tant que moniteur, c’est le fait que la situation sur la route est dynamique, elle n’est pas statique, elle peut changer à chaque instant. On reconnaît les bons chauffeurs à leurs capacités d’adaptation : ceux qui se sont formés sont préparés à toute éventualité de changement.


Toutefois, je ne suis pas d’avis que nos routes ne « parlent » pas. Je fais souvent la route Brazzaville-Kinkala : c’est une route équipée de panneaux de signalisation, mais pour autant, on constate toujours autant d’accidents. De même, lorsqu’on a ouvert le tronçon Pointe-Noire-Dolisie, il y a eu encore plus d’accidents. Par ailleurs, les statistiques ont montré que les premières victimes de ces accidents étaient des conducteurs qui conduisaient dans les départements où il n’y a pas d’auto-écoles. La formation est donc primordiale. D’autres facteurs sont, bien entendu, à prendre en considération, comme l’incivisme, l’état des véhicules et, en dernier lieu, l’état de la route pour expliquer la recrudescence des accidents de la route.

Propos recueillis par L-J. Mianzoukouta et P.W. Douniama

Légendes et crédits photo : 

Jonas Babindamana (© Adiac).