SIL 2015/ Critique: « Si d’aimer… » d'Hemley Boum

Samedi 14 Mars 2015 - 9:33

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Jeune fille ingénue, à l’allure un peu garçonne, Céline tombe dans les mailles du filet tendu par Buisson, un expatrié blanc qui se révèle être un véritable négrier à la tête d’un trafic humain où des jeunes filles noires sont enrôlées de force dans un réseau de prostitution de luxe dirigé par des proxénètes blancs. La vie de Céline à Paris est un véritable enfer où les clients, en véritables prédateurs sexuels, viennent épandre sur son corps la lubricité de leurs fantasmes

Son rêve de fortune et de gloire dans le mannequinat à Paris aura tourné court. Son cauchemar dure de longs mois avant qu’elle ne trouve les ressources psychiques et physiques nécessaires pour échapper à ses ravisseurs. Pourtant, lorsqu’elle rentre chez elle, à Douala, où plus personne, pas même sa famille, ne la regarde, ni ne lui parle, elle trouve en Moussa, son éternel ami et frère, le soutien nécessaire pour prendre une sorte de revanche en s’installant comme prostituée de luxe à son propre compte. Parmi ses clients – qui sont des Blancs pour la plupart –, un certain Paul Fabre qui en tombe éperdument amoureux, mais aussi Pacôme, un jeune marié camerounais promis à une brillante carrière dans la haute finance et les affaires et dont elle se croit amoureuse. Par calcul et pour l’arracher à sa tendre épouse Salomé, Céline se fait engrosser à l’insu de Pacôme et lui transmet ainsi le virus du sida qu’elle avait elle-même contracté à Paris, sans le savoir, exposée qu’elle était à toute cette faune à risques...

C’est en consultant Valérie, son amie d’enfance, gynécologue de son état, que Salomé découvre sa séropositivité. Issue de la bourgeoisie locale comme son mari Pacôme, cette dernière est obligée de faire face à cette nouvelle situation. C’est ainsi que, après la colère, elle va s’investir peu à peu dans la réconciliation des deux mondes apparemment antagoniques. Sur l’instigation de Salomé, Valérie et Moussa tiennent un journal intime des faits et gestes autour de Céline dont la maladie a eu ce don inespéré de les rassembler tous. Le roman est donc la somme de ces carnets intimes avec, en toile de fond, l’histoire de Céline et Pacôme en amants maudits.

Il y a ces dichotomies internes à la structure même du roman avec, d’un côté, les beaux quartiers, les somptueuses villas où dorment ceux de la haute société qui se sont taillé une place au soleil, avec des parkings aux voitures rutilantes, des palaces avec piscines et tout le standing de la jet set ; et puis de l’autre côté, les banlieues de misère avec leur lot de débrouillardise et de petits larcins dans cette jungle qui, par ses idiolectes et sa gouaille savoureuse, ne manque ni de poésie, ni de solidarité. Poésie et solidarité que l’on trouve notamment dans cette sororité insolite qui caractérise le lien entre Céline et Moussa. Car si Céline est désirée par les Blancs pour son côté androgyne, Moussa, lui, apparaît comme son âme sœur, une ombre de funambule qui se coule dans le silence et la douleur de l’être aimé, sans rien demander, sans juger jamais.

Or, ces dichotomies, nos personnages arrivent à leur infliger bien des entorses afin de faire fleurir cette grande solidarité humaine qui jalonne le roman de bout en bout et qui lui donne ce souffle quasi épique d’un amour inextinguible et qu’aucune infidélité, aucune trahison ne sauraient lasser ou éconduire. C’est ainsi que les univers les plus naturellement antagoniques se prennent à se côtoyer et à produire une culture hybride entre le rêve inavoué des mirages de Paris et la force des traditions ancestrales africaines rémanentes.

Sur deux, voire trois générations, Si d’aimer… montre l’irrésistible ascension d’une classe moyenne africaine désireuse de tutoyer les sommets de la hiérarchie sociale et de mettre en place une expertise nationale susceptible de remplacer la bonne vieille assistance technique du lendemain des indépendances. Et le tableau ne va pas sans contrastes, sans nuances, avec son cortège de problèmes liés précisément à ces nouvelles dynamiques de développement. Mais c’est, avant tout, un roman féminin dans tous les sens du terme. Et pas simplement par cela qu’il est écrit par une femme ou encore parce que la plupart des personnages sont féminins – y compris d’ailleurs Moussa et Paul Fabre qui, selon l’état civil, sont du genre masculin, mais chez qui une présomptive « sensibilité féminine » est perçue comme relativement dominante dans la personnalité –, mais surtout parce qu’il y circule une bouffée de fraîcheur qui contamine littéralement son lecteur, un souffle de fraternité humaine presque fanatique et qui jalonne le roman de bout en bout. Parce qu’on y trouve cette délicatesse des sentiments avec l’immixtion d’une sorte de modernité incluant le blanc et noir des rapports postcoloniaux. La fraîcheur, c’est aussi celle de la langue française que les divers idiolectes locaux n’arrivent jamais ni à « exophoniser », ni à phagocyter. Le pidgin, le bassa ou le bami, à travers divers lexèmes, sont plutôt intégrés dans une langue très académique.

Mais, si l’on peut oser le paradoxe, cette force du roman constitue, aussi, sa faiblesse presque congénitale. À savoir, précisément, qu’elle tient dans l’incohérence narrative ou l’insuffisante motivation entre la diversité des narrateurs (et des récits) et leur invraisemblable unité de ton et de registre, comme si Moussa, Valérie et Salomé étaient une seule et même personne ou parlaient exactement selon le même niveau de langue…

Si aimer rime avec sida, nul doute que cette maladie qu’est l’amour et que nous portons tous comme un péché originel finira par tous nous emporter en enfer. Or, si le sida est un enfer, force est de constater que ce livre-ci est un puissant baume pour ceux qui souffrent, une véritable bible du courage et de l’espoir, avec cette frénétique soif de survivre à la maladie qui est, aussi, inscrite dans la condition humaine.

J’ai rarement lu un livre aussi beau, où transparaît cette fraîcheur vivifiante capable de transmuer la boue en or, de tourner la vie la plus infernale, le destin le plus impitoyable en un hymne à l’amitié, à la solidarité. En un mot : un hymne à l’amour, à la vie ! Autrement dit, un grand roman avec un indéniable parfum de chef-d’œuvre.

 

A suivre sur le stand LABC: Samedi 21 mars – 15 h

Le plaisir féminin vu par douze femmes

12 femmes issues de générations et d'environnements différents, mais toutes du monde noir, évoquent le plaisir féminin, autour du livre Volcaniques : une anthologie du plaisir (Mémoire d'Encrier). Comment s’écrivent aujourd’hui le corps, la sensualité, chez la femme noire ? Parmi ces figures féminines, Hemley Boum, Axelle Jah Njike et Gisèle Pineau s'exprimeront sans tabou sur l'érotisme, sur le ton de l'humour ou de la poésie. Bien des femmes se reconnaîtront dans ces pages…

Modératrice : Elizabeth Tchoungui, journaliste, présentatrice télé sur France Ô

Si d’aimer… d'Hemley Boum, Ciboure, La Cheminante, 2012, 385 p.

R. S. Tchimanga

Légendes et crédits photo : 

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