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Souvenir de trois notables de Poto-Poto

Mardi 12 Juin 2018 - 13:01

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Jean Malonga, Bernard Bouya et Mathurin Menga. Trois notables de Poto-Poto décédés, à quelques mois d’écart, il y a plus de trente ans. C’est toute une époque qui s’en est allée avec eux. Poto-Poto, autant que je m’en souvienne, était un havre de paix. Un village policé. Le respect était la règle. La solidarité, une pratique sociale assumée. Ces notables étaient affectueusement appelés «vieux». Chacun d’eux a, d’une manière ou d’une autre, marqué la vie de Poto-Poto.

Jean Malonga est le premier écrivain du Congo. Ancien sénateur, il habitait une belle maison sise rue Bacongo au n°100, à Poto-Poto. Son domicile a été vendu, il y a quelques années, sans que le ministère de la Culture ne lève son petit doigt. On ne vend pas la maison de Voltaire. On la classe au patrimoine national, pour parodier le général de Gaulle qui disait: « On n’arrête pas Voltaire», parlant de Jean-Paul Sartre. La France vient de rénover la maison de Voltaire, pour la sauver de la disparition. Jean Malonga n’a pas eu la même chance. Il est mort deux fois, physiquement, et plus tard, symboliquement, par la vente de sa maison. Dommage.

Dans l’un de ses romans, «Cœur d’Aryenne», il a mis en vedette un enfant de Poto-Poto, Bernard Mambéké, un jeune likouba qui sauve d’une mort certaine, la jeune fille du colon Morax, prise, au fleuve, à hauteur de Mossaka, dans les mâchoires d’un saurien. Bernard Mambéké-Boucher connaît, par la suite, une autre notoriété pour ses exploits au football. Le public l’appelle, alors, le «Roi de la Plaine». Il devient, le 14 mai 1957, ministre des Sports, dans le Conseil du gouvernement du Moyen-Congo. Il est le premier d’une longue série.
Bernard Bouya, ce nom évoque l’un des lieux de la mondanité à Poto-Poto: «Carrefour du Congo», que le public désignait par le nom de Bouya bar. Tous les orchestres de Brazzaville s’y produisirent, des années durant. Le bar-dancing «Carrefour du Congo» fut aussi le lieu de rassemblement des militants Msa (Mouvement socialiste africain) de Jacques Opangault, dont on célèbre cette année le quarantième anniversaire de la mort. Lors de la guerre civile de 1959, beaucoup de ces militants trouvèrent refuge au «Carrefour du Congo». Ses activités politiques conduisirent Bernard Bouya en prison sous la colonisation française. Il est décédé vendredi 6 juin 1986, un an près Jean Malonga, il y a donc plus de trente ans déjà.

Mathurin Menga est le troisième notable qui a tiré sa révérence dans la même période. Il a rendu l’âme, le 16 octobre 1986, à Brazzaville. Né vers 1917 à Ndollé, dans le district de Mossaka, département de la Cuvette, il intègre le CFCO après l’obtention de son Certificat d’études indigène. Il y accomplit toute sa carrière professionnelle, de 1934 à 1970, en qualité d’agent des services comptables puis, chef du personnel. Mathurin Menga fut aussi un homme politique. De 1952 à 1957, il est conseiller territorial du Moyen-Congo et, simultanément, Grand conseiller de l’Afrique équatoriale française, où il est vice-président. À l’indépendance, il est vice-président de la première Assemblée nationale de la République du Congo. Dans son éloge funèbre, Bernard Mambéké-Boucher, lyrique, disait : «Dès sa première jeunesse, il se rangea parmi ceux qui gardèrent le souvenir de cette résistance anticoloniale que les vieux du village, le soir venu, autour du feu, inculquaient à leurs jeunes esprits l’épopée antique d’Iyandza, de Mokemo, de Baloundza et de la très célèbre Kombiabeka». Mathurin Menga était imprégné des valeurs du terroir.

Poto-Poto, à l’époque coloniale crépusculaire, est plongé, le soir, dans les ténèbres. Il est, par bonheur, certaines nuits, illuminé par la douce clarté de la pleine lune. C’est un moment de pure félicité qu’attendaient les enfants de mon époque, autour d’un «vieux» ou d’une «vieille», pour écouter religieusement les contes et légendes de chez nous. Leurs récits contenaient toujours des leçons de vie.

Nous vivons aujourd’hui dans les villes, dans lesquelles les valeurs ancestrales sont désormais occultées ou niées. La modernité s’est insolemment installée dans toutes les chaumières. La télévision régente désormais le quotidien du public congolais. Elle déverse à flux continu des programmes de mauvais goût. Nos propres médias ne représentent nullement une alternative gratifiante. À travers cette lucarne, les modèles exogènes envahissent le public, désarmé face à un déferlement d’images ineptes. D’ailleurs, dans un reflexe pavlovien, les médias locaux se mettent à leur tour à faire la même chose, sans discernement. La télévision est la nouvelle religion.

Poto-Poto a changé. La guerre de 1997 est passée par là. Ses enfants ont empêché les «Cocoyes» de «prendre» leur quartier. La guerre a façonné de nouveaux comportements libertaires. L’autorité parentale n’est désormais qu’un lointain souvenir.  L’école a abdiqué. L’Etat est incapable d’arrêter le cycle vicieux de la perte des valeurs. Depuis sa réinstauration dans la nomenclature gouvernementale, il y a vingt ans, l’Instruction civique n’a pas produit les résultats escomptés. Le travail de fond n’est pas fait. On le sait, « la citoyenneté est forcément une citoyenneté critique, à condition d’en avoir les outils ».

 

Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

 

 

Mfumu

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