Théâtre : un art entre déclin et renaissance

Samedi 29 Mars 2014 - 5:13

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Les avis sont partagés, et mitigés, sur le sort actuel du théâtre congolais. Manque de salles de spectacles, de soutien, d’encadrement… et désintérêt du public, telle est la fiche clinique de notre « septième art ». Le 27 mars, à l’occasion de la journée internationale qui lui est consacrée, rien de bien visible n’était à la une. Sauf à l’Institut français du Congo, où, comme de tradition, quelques acteurs sont montés sur les planches. État des lieux d’un art qui oscille entre le déclin et la renaissance

« Je regrette le fait qu’au Congo, le ballet et le théâtre se meurent. » Ainsi s’exprimait Albert M’Fina dans Les Dépêches de Brazzaville du 25 août 2011. Ce professeur de philosophie, engagé à l’époque au service de l’éducation populaire et civile, est le créateur du Ballet national congolais en février 1971. Il est offusqué de voir chanceler le ballet et le théâtre.

À l’époque, au-delà du divertissement qu’il est censé procurer, le théâtre faisait partie des moyens de sensibilisation et d’éducation des populations. Autant sur des problématiques existentielles que sur des questions de développement ou celles d’intérêt national. L’État, on peut le dire, avait mis en place un mécanisme de création et de gestion des troupes et des acteurs. Il en allait de l’image du pays et de la préservation des expressions culturelles.

L’âge d’or du théâtre congolais

Pour soutenir cette politique, le Centre de formation et de recherche en art dramatique (CFrad), situé dans le quartier Plateau-Ville de Brazzaville, était considéré comme le point de passage obligé avec, à la clé, de nombreux partenariats qui ont permis au Congo d’envoyer des acteurs en séjour de perfectionnement à l’étranger, en même temps qu’ils ont vu affluer à Brazzaville des spécialistes et des formateurs.

C’était l’époque du Rocado Zulu Théâtre, du Théâtre national, du Théâtre de l’Éclair, mais aussi de la célèbre troupe artistique Ngounga. Une époque où le passionné des arts et de la culture avait le choix entre lire un livre ou le suivre, joué sur scène, à l’instar de La Marmitte de Koka-Mbala de Guy Menga.

À côté de ce dernier on citera, entre autres grands noms du théâtre congolais, Sylvain Mbemba, auteur et metteur en scène de plusieurs pièces comme L’enfer, c’est Orféo, L’homme qui tua le crocodile ou Une eau dormante. Et que dire alors de Sony Labou-Tansi qui, en créant le Rocado Zulu, marque le théâtre congolais et est considéré par beaucoup comme le plus grand dramaturge congolais ? À juste titre, car sa renommée dépasse les frontières congolaises, ses pièces étant jouées à Brazzaville, Dakar, Paris ou encore New York.

L’apogée de 1980 et le déclin de la fin du siècle

Dans les années 1980, grâce au travail effectué par Maxime Ndebeka et le CFrad, le théâtre congolais est à son apogée. De nouvelles troupes théâtrales voient le jour, comme le Théâtre de l’Amitié, les Frères Tchang, le Rocado Zulu Théatre de Sony Labou-Tansi, le Théâtre de l’Éclair d’Emmanuel Dongala et la troupe artistique Ngounga de Matondo Kubu Turé. 
Jusqu’au début des années 1990, Sony Labou-Tansi, Emmanuel Dongala et Matondo Kubu Turé sont les trois noms du théâtre congolais. D’autres dramaturges de renom, parmi lesquels Sylvain Bemba, Tchicaya U Tam’si, Guy Menga, Maxime Ndebeka, Letembet-Ambily et Caya Makhele vont participer au triomphe du théâtre congolais, au Congo comme à l’étranger. Les troupes congolaises vont séjourner régulièrement à l’étranger et se professionnaliser au fil des années. 



Le décès de Tchicaya U Tam’si (1988), de Sony Labou Tansi et Sylavin Bemba en 1995 sera un véritable coup dur pour le théâtre congolais, que la guerre viendra aggraver.

Qu’en est-il du théâtre de chez nous ?

En dehors de ce théâtre classique incarné par les grands noms et troupes cités, l’art se popularise à partir de 1980. Les diffusions à la télé et à la radio apportent une autre façon de faire. Le lingala, et le kituba dans une moindre mesure, s’imposent dans le « nouveau théâtre » dit de chez nous. Copie de ce qui se passe à Kinshasa, ville voisine, ou rivalités acceptables ?

Le fait est là, encouragé par l’État, de voir naître de nouvelles troupes, plus ou moins organisées et plus ou moins soutenues. D’abord le groupe Molende, suivi peu après par Élikia, dont, ici et là, les principaux acteurs sont des agents de la Radiodiffusion et Télévision congolaise. Animateurs, techniciens et autres montent au créneau et s’arrachent la célébrité et les « suffrages » des auditeurs et téléspectateurs. Des noms comme Lumingu, Mossikassika « Mos » Mobali Ya Dzéké, Ébendé Kilo, Lolango, et plus tard Simone Ngala Lina, Pantalon Zoba Liputa Mayélé, Épandza ou Édounga Essou Faustin. Une longue liste que l’on complètera par les noms d’Ébilimounkoué et compagnie qui, eux, jouent dans le groupe Mokili, fidèle à l’antenne matinale de la Voix de la révolution congolaise. Mais ce dernier, contrairement aux deux premiers groupes, a une mission simple et précise, l’éducation citoyenne. Jusqu’à aujourd’hui. Mais ce nouveau théâtre obéit à d’autres canons. Sinon pas. Le genre est libre et le casting presque inexistant.

La renaissance ?

Il s’agit ici de quelques initiatives pour redonner vie au théâtre classique qui puise dans la littérature. C’est ainsi que de plus en plus sont montées les œuvres de l’écrivain Henri Djombo. Sur la braise ou Le Mal de terre et autres sont parmi les dernières représentations auxquelles le public a eu droit, à Brazzaville ou à Impfondo.

Au passage, il faut aussi saluer le Festival de théâtre scolaire qui depuis quelques années mobilise les jeunes autour de cet art et suscite en eux la passion. Outre Sorel Boulingui qui monte, le Congo peut encore compter sur Dieudonné Niangouna, Matondo Kubu Touré, etc. Avec eux, le théâtre congolais peut sortir de son coma. Reste que les moyens doivent suivre. Assurément, il revient aux pouvoirs publics de jouer leur partition. 

Jocelyn-Francis Wabout