Urbanisation/Municipalisation : les populations déplorent la flambée des prix des denrées alimentaires

Jeudi 3 Juillet 2014 - 20:30

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Partout où elle est passée, la municipalisation accélérée a permis d’importants changements. Avec les nombreuses infrastructures qui sont sorties de terre, la vie quotidienne épouse désormais les couleurs de la modernité au point que d’anciens « gros villages » sont devenus de « belles cités ». Pourtant ce bond en avant a une conséquence : le cours du marché ne cesse de grimper. Villes et vie chères, tel est le décor que présente désormais le Congo. Enquête

À Ewo, Impfondo, Djambala, Owando, Dolisie, Kinkala et même à Ouesso qui attend encore sa municipalisation, le constat est le même : la vie a pris un coup et il est difficile pour les familles aux revenus modestes de manger à leur goût et à leur faim. Dans le sillage des festivités du 15 août 2011, les restaurants d’Ewo semblaient s’être donné le mot de passe en augmentant les prix des plats. 2.500 FCFA, voire 3.000 ou 4.000 FCFA, pour un plat de « poissons d’eau douce » très prisé par les Congolais.

Andoche, enseignant à Étoumbi, est surpris par la cherté de la vie alors qu’en y allant, il croyait bien profiter pour épargner. « On ne peut pas regretter la construction de la route. Il faut plutôt réfléchir sur des mesures ou des politiques commerciales pour limiter cette flambée », dit-il.

Plus loin, Ouesso n’a pas attendu le lancement des travaux de la municipalisation annoncée pour 2015. Là-bas, la flambée des prix des denrées alimentaires devient plus qu’inquiétante. Ceci s’expliquerait par la modernisation de la ville dont le coup d’envoi avait été donné par le chef de l’État en mai 2012. L’aménagement des voiries urbaines, l’inauguration de l’aéroport avec la régularité des vols (cinq par semaine), l’ouverture et le bitumage des routes ont vite changé le statut de cette ville de 30.000 âmes environ.

Quand Ouesso et Pokola manquent de viande

Très enclavée hier, la ville de Ouesso compte désormais parmi les plus grandes destinations du Congo, à défaut d’être une plaque tournante pour les hommes d’affaires, les chercheurs et voyageurs. Jadis dépendante du Cameroun, la ville s’est ouverte sur Brazzaville. Les échanges sont quotidiens certes mais la vie a pris un coup. « En fait, la révolution a commencé avec la construction de la Banque centrale (2009). L’arrivée d’un nouveau genre de fonctionnaires a changé les mentalités des vendeurs qui n’ont pas attendu pour tricher avec la mercuriale », commente Prisca, une native de la ville. Autre témoignage, celui d’un employé de la Banque centrale : « Au début, j’ai ressenti comme une sorte d’injustice à notre égard chaque fois que nous allions faire des achats. Le morceau de viande de brousse vendu normalement à 1.000 FCFA voyait son prix doubler ou tripler quand nous nous présentions… »

Ces comportements qui ont commencé à poindre il y a cinq ans sont érigés en normes. « Je vis avec ma fille qui a cinq ans. Il me faut réunir 2.500 ou 3.000 FCFA pour bien manger. Le poisson se fait rare et la viande aussi. Ouesso a changé ! », regrette Tatiana, une enseignante au lycée. Comment expliquer cette flambée des prix ? Raïssa, agent de santé a sa petite idée : « Avec l’ouverture de la route, toutes les marchandises partent à Brazzaville. Or, en alimentant la capitale, on oublie qu’on est en train d’affamer Ouesso et ses environs. »

Il faut aux voyageurs une demi-heure pour arriver à Pokola, localité située à 45 km au sud-est de Ouesso. Ici, les même plaintes montent. Plaque tournante elle aussi, cette localité de près de 15.000 habitants peine à remplir son marché malgré la politique mise en œuvre. « L’ouverture de la route voit arriver ici de nombreux véhicules qui emportent tout pour Brazzaville. Certains individus parmi les plus nantis préfèrent venir remplir leurs congélateurs ici. Les vendeurs l’ayant compris, ils réservent leurs produits pour ces gens-là à qui ils vendent cher pour mieux gagner », explique Roger.

Brazzaville imprime la cadence

« Le marché est devenu difficile ! » Tel est désormais le refrain dans les foyers, les rues et les restaurants. Il n’est pas rare d’assister à une querelle entre époux sur la gestion de la popote. Certaines femmes n’hésitent pas à demander à leurs maris d’aller au marché pour mesurer la situation. « Mon restaurant est vide. Je ne sais plus quoi vendre. Tout a augmenté de prix. Même les poissons de mer et les cotis (côtes) », s’est plainte Judith, propriétaire d’un restaurant non loin de la gare de Brazzaville. « J’ai préféré venir ici à Poto-Poto où je peux avoir un plat à 2.000 ou 2.500 FCFA », commente un fonctionnaire qui attendait son repas, dans un restaurant de la rue Haoussa, dans le 3e arrondissement.

Le pic est atteint au petit marché appelé Dragage où une partie de cuisse de sanglier est proposée à plus de 10.000 FCFA. « Je viens ici circonstantiellement à la fin du mois pour rompre avec les plats habituels. Mais le coût ne nous permet pas de revenir deux ou trois fois dans le mois », confie Dieudonné Ngayopi, responsable d’une école primaire.

Dans le Pool, à Kindamba précisément, le virus de faire grimper les prix a gagné les commerçants. Interrogé à ce sujet, le maire de la ville a annoncé une série de mesures de lutte contre la vie chère. « Nous avons constaté que les populations avaient abandonné l’agriculture faute de routes pour écouler leurs marchandises. Maintenant que la ville sort de son enclavement, nous leur avons demandé de recommencer à cultiver en quantité pour faire face au défi de la sécurité alimentaire », a déclaré Bienvenu Balossa.

Au-delà du manger…

Presque partout au Congo, la vie au quotidien grève les finances des citoyens. Logement, transport, santé, scolarité des enfants, électricité et eau, sont cités comme des chapitres « budgétivores » qui empêchent les Congolais d’envisager d’autres projets. « On tourne en rond là où on est. On ne peut pas voyager ou envoyer les enfants en vacances. On n’a pas de loisirs… », reconnaît Nazaire, un fonctionnaire évoluant à Brazzaville qui vient de terminer son congé sans bouger alors que son souhait était d’aller se ressourcer dans la Likouala, le département dont il est originaire.

La cinquantaine atteinte, Parfait, cadre dans une agence onusienne, ajoute : « Le gouvernement doit réfléchir sur des politiques à asseoir pour réduire le coût de la vie. Il a parlé des logements sociaux dont on attend les effets ; des villages agricoles dont les produits n’inondent pas encore le marché, etc. Le grand problème des Congolais reste le quotidien. » 

L’alerte est donnée

« Brazzaville et Pointe-Noire parmi les 50 villes les plus chères au monde », c’est le résultat d’une enquête, publiée le 10 juin, et qui a été conduite par l’organisation ECA International. Selon cette étude, Brazzaville et Pointe-Noire se situent respectivement à la douzième et la quinzième places dans le classement des villes où le coût de la vie est cher. Même si pour cet organisme, l’étude a concerné les expatriés, il n’est pas moins vrai que les nationaux, eux aussi, subissent les effets de la vie qui devient trop onéreuse. Il est aussi vrai que la situation ne laisse pas indifférents les pouvoirs publics car, à Pointe-Noire par exemple, des mesures sont prises, avec l’appui des campagnes de sensibilisation, pour ramener à l’ordre tous les commerçants qui rament à contre-courant des directives visant la réduction du coût de la vie. Sans bruit, les mêmes efforts se font ailleurs. Sauf que sans cadrage, cette politique serait une gageure au regard des plaintes des populations. 

Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Un vendeur de viande de brousse.