Violences sexuelles. Lilian Boukaka: «Les proches des victimes banalisent les conséquences »

Samedi 15 Septembre 2018 - 12:03

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Psychologue clinicien à l’hôpital de base de Bacongo, expert sur les questions de violences fondées sur le genre, particulièrement les violences sexuelles, éducateur de jeunesse et aussi président coordonnateur de l’ONG ‘’Action salvatrice d’Afrique’’, Lilian Boukaka nous livre, dans cet entretien, l’apport indispensable de la prise en charge psychologique dans le processus de guérison des victimes.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Des types de violences qui existent, quelles sont celles que vous enregistrez le plus ?

Lylian BOUKAKA (L.B.) : Il existe plusieurs formes de violences bien évidemment, à savoir physiques, psychologiques, sociales, institutionnelles, communautaires, sexuelles… De toutes celles qui existent, les plus redoutables et malheureusement les plus récurrentes en République du Congo, selon les cas que nous recevons, ce sont les violences sexuelles et les violences physiques liées aux violences conjugales dont la population peine à dénoncer. Les proches des victimes ne perçoivent pas vraiment l’ampleur des conséquences des violences sexuelles. Une violence ne doit pas être résolue à l’amiable.

L.D.B. : Qu’est-ce qui explique maintenant la dénonciation de ces crimes par les victimes ? 

L.B. : En ce qui concerne l’unité de prise en charge que je coordonne ici à l’hôpital de base de Bacongo, c’est grâce aux sensibilisations. En tant que consultant au niveau du projet "Violences fondées sur le genre", c'est-à-dire violences faites à la femme, au niveau de l’Eglise évangélique du Congo nous sensibilisons par le biais de la radio évangélique, lors des retraites et séminaires pour donner l’information et stimuler le réveil pour que le silence soit totalement brisé. Nous les aidons à comprendre qu’est-ce que les violences sexuelles et que faut-il faire dans ce genre de cas. Nous leur expliquons également les priorités en cas de violences et les conséquences qui peuvent en découler. Petit-à-petit, les langues se délient. A l’hôpital de base de Bacongo, depuis l’ouverture de la cellule de prise en charge en mars jusqu’à ce jour, nous avons déjà reçu près de vingt-deux cas dont la plus jeune victime aurait vingt-deux mois. Avant, cela paraissait comme un tabou mais aujourd’hui, plus les gens sont informés, plus ils se mobilisent pour une bonne prise en charge.

L.D.B : Est-ce la même démarche de thérapie pour toutes les victimes ?

L.B. :  Non. Néanmoins, il y a une base où la victime trouve en nous une banque émotionnelle pour déverser ses désarrois. C’est à nous de la recadrer car cela varie d’une patiente à une autre. Il y a celles qui éprouvent le besoin de verbaliser leurs affects et d’autres non. Il faut s’y prendre avec douceur et amour. On peut soit recourir à une psychothérapie sociale, soit comportementale ou familiale.

Pour un abus sexuel, il faudra aider la victime à se réapproprier son corps et à se resocialiser. Dans une telle situation, lorsque la victime n’est pas accompagnée, elle recourt à des moyens personnels. Cela peut engendrer des altérations profondes comme le suicide. En travaillant avec le Fonds des Nations unies à Kindamba, nous avons enregistré le cas d’une fille abusée par son cousin qui s’était suicidée parce qu’elle n’avait pas pu supporter cette situation.

L.D.B : Une victime non prise en charge psychologiquement peut-elle commettre les mêmes abus par esprit de vengeance ?

L.B. : Oui, cela est possible mais pas dans tous les cas. En témoignage, une dame à kindamba, victime de viol par les ex-combattants, était tombée enceinte et a décidé de garder sa grossesse. Sept ans après que l’enfant était né, un jour emportée par son inconscient, la dame a voulu tuer son enfant qui par chance a pu s’échapper. Une fois à notre disposition, elle nous a expliqué qu’elle s’était emportée parce qu’elle avait vu en cet enfant le visage de son agresseur. Une femme victime de violences sexuelles et qui n’a pas expérimenté un suivi psychologique est une menace tant pour elle-même que pour son entourage car par moment, elle est susceptible de manifester des sortes d’épisodes de scènes traumatiques. Elle peut non seulement développer la frigidité mais également la stérilité, la dyspareunie (douleurs lors des rapports sexuels), le dédain des hommes, le stress post traumatique, la claustrophobie, la nervosité intense, l’introversion, les hallucinations auditives et visuelles, etc.  Il y a des femmes qui se vagabondent à cause de ces abus et d’autres qui sont devenues lesbiennes parce que craintives de se donner aux hommes. Voyez-vous combien les conséquences sont graves.

L.D.B. : Un souhait à l’endroit des lecteurs ?

L.B. : Pour ceux qui l’ignorent encore, il existe bel et bien des unités de prise en charge médicale et psychologique. A Brazzaville, on note l’hôpital de base de Makélékélé, l’hôpital de base de Bacongo et l’hôpital de base de Talangaï. Au regard de toutes les exactions que notre pays a connues, les conflits sociaux et politiques ont occasionné un grand nombre de victimes qui, à ce jour, n’ont pas encore verbalisé leurs problèmes. Il incombe ainsi aux pouvoirs publics de nous accorder des espaces pour sensibiliser à l’apport psychologique qui est un maillon indispensable pour la reconstruction des victimes.

Merveille Atipo

Légendes et crédits photo : 

Photo:Le psychologue clinicien Lilian Boukaka

Notification: 

Non