Zina Hope et Edo Nganga : le dernier pas de danse

Jeudi 11 Juin 2020 - 19:06

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Zina Hope nous parle de sa rencontre avec le « Patriarche », récemment disparu, un grand écart entre générations et une amitié sincère.

Les Dépêches du Bassin Congo : Comment une artiste de 25 ans se retrouve à écouter les « vieilleries » de l’ancien temps ?

Zina Hope : Comme beaucoup de gens de mon âge, ça se passe de façon inconsciente. C’est une enfance bercée, dans la maison familiale, par les chansons des Bantous de la Capitale à la télévision ou à la radio, dans les cassettes audio. On grandit avec ces chansons là. Mon père a été un musicien de cette époque, sous le nom de Johnny Satou. Il avait même un studio d’enregistrement. J’ai donc été baignée dans cet univers avec les sons des grands noms de la musique congolaise. 

LDBC : Comment avez-vous appris la disparition  d’Edo Nganga ?

ZH : C’est justement mon père qui l’a appris à la télévision. Il m’a informée de cette terrible nouvelle car il savait tout l’attachement que j’ai pour Edo. J’étais bouleversée et mon réflexe a été de joindre mon manager pour en parler avec lui sur Messenger. Nous y sommes restés tard dans la nuit sous le choc. 

LDBC : Quelles ont été les circonstances de votre première rencontre avec Edo ?

ZH : C’était pour le documentaire « Mobembo Na kimia » où j’allais à la rencontre d’artistes à travers le Congo.  Mon manager m’a demandé quel artiste je souhaitais rencontrer. J’avais coché le nom d'Edo. Et c’est Cyriaque Bassoka, un autre pilier de la musique au Congo, lui aussi disparu, qui nous avait communiqué son numéro. A l’Institut français du Congo, à Brazzaville, nous nous sommes vus pour la première fois. Parfait Young était là aussi  pour nous accompagner. Edo et moi, à la guitare pour un duo d'« Aimée wa bolingo ». Nous avions, avant cela, beaucoup parlé de Véronique, sa maman, à qui est dédiée cette chanson. A peine le tournage terminé, avec mon manager, nous n’avions qu’un seul désir : faire un documentaire sur  Edo. Ce documentaire est en cours de montage. Avec le coproducteur, Sébastien Roy, nous envisageons une sortie peut être le 27 octobre qui est la date d’anniversaire d’Edo. On réfléchit à ça.

LDBC : Cela a donc provoqué d’autres rencontres pour le tournage du film ?

ZH : Oui, on s’est revus lors du  premier concert en hommage aux 60 ans de carrière des Bantous de la Capitale, qui se déroulait à Pointe Noire. Je suis allée le chercher à l’aéroport. Nous étions heureux de nous revoir. J’ai été étonnée et attendrie de le voir sortir du hall d’arrivée avec un simple sac plastique pour tout bagage. C’était Edo en toute simplicité. Le lendemain, lui et moi avons longuement discuté au Derrick, près de la Côte sauvage. Edo adorait l’Océan et le poisson pour dîner. Je l’ai donc invité à dîner à Villa Tchimbamba, là où j’enregistrais mes chansons et où il y avait plein d’instruments. Nous étions fatigués, lui de son concert, et moi de ma course folle avec Olivia, une amie, pour acheter du poisson et préparer le repas pour Edo et quelques autres musiciens. La soirée s’est terminée tard. Edo chantait encore, sans vouloir avouer qu’il était fatigué.

LDBC : Quel était votre rapport d’affection ?

ZH : Je le voyais chez lui, au quartier Makazou, c’est sa fille Solange qui me guidait parfois  car il est difficile de s’y retrouver dans ce quartier reculé de Brazzaville. Edo m’accueillait toujours avec un grand sourire. « Alors ma fille, tu m’as ramené du poisson ? » me demandait-il.  Il savait que dans ma petite glacière, il y avait du Mérou ou du Saint-Pierre, mais aussi de la Guiness, sa boisson préférée. Lui me racontait sa vie, sa famille, ses lectures, sa médaille et sa canne, des choses comme cela. Sa mémoire flanchait souvent, alors il disait : « Machin .» Un tic verbal qui pouvait remplacer le nom d’une personne, d’une date, d’un lieu. Ensemble, nous avons fait le marché, visité les voisins, parcouru ses albums photos, il m’a aussi embarquée dans une réunion de quartier car il en était le chef, nous avons même prié ensemble. Sa femme, Angélique, s’est aussi beaucoup confiée à moi.

LDBC : Et la dernière fois où vous vous êtes vus ?        

ZH : C’était chez Faignond, ce lieu mythique où les Bantous de la Capitale ont fait leur premier concert. J’avais proposé cet endroit comme rendez-vous car cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas mis les pieds. J’avais demandé au vieux Ricky Malonga, batteur et percussionniste des Bantous de la Capitale, de venir avec nous. Cela a remué beaucoup de souvenirs. Edo avait très envie de rejouer dans cette salle pour faire un grand bond de soixante années en arrière.

LDBC : Quels souvenirs garderez vous de lui ?

ZH : Edo c’est un monument. Il m’avait d’ailleurs confié qu’il aimerait bien qu’on lui dresse une statue. En tout cas, il reste dans mon cœur à jamais. Je garde de lui l’image d’un homme vrai, d’une grande sincérité, simplicité et sensibilité. Cette rencontre aura été un pur bonheur et je n’ai au fond de moi qu’un seul regret, celui de ne pas avoir fait un featuring avec lui, alors que j’ai toujours refusé  ceux que l’on me proposait. Ma rencontre avec Edo, c’est plein de jolies choses, plein de « machins » que je garde précieusement en mémoire. Pour rendre hommage à Edo, je viens d’enregistrer, avec la complicité de Parfait Young, « Aimée wa bolingo » comme un ultime au revoir.  

Philippe Edouard

Légendes et crédits photo : 

Zina Hope, Edo Nganga et Parfait Young

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