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La procession des sages du Congo

Lundi 28 Avril 2014 - 0:23

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Par quel bout saisir ce débat en cours au Congo-Brazzaville sur le changement ou non de la constitution du 20 janvier 2002 ? Est-ce par celui des politiques, habitués à se lancer des invectives acérées lorsqu’ils doivent défendre leur morceau ? Est-ce par celui des constitutionnalistes dont, de manière générale, le travail consiste à trouver, avec des marges d’erreur parfois déroutantes, la forme juridique qui convient aux aspirations de la population et des décideurs qui le leur demandent ? Serait-ce, enfin, par celui des intellectuels, souvent écartelés entre leur domaine intrinsèque de réflexion et les pressions émanant de ceux au nom de qui ils se résignent parfois à défendre bec et ongles les opinions, les idées et les ambitions ?

En l’espace d’un mois, comme chacun a pu le voir, la part prise par les sages dans la discussion évoquée plus haut est apparue prépondérante. Si l’on constate qu’ils n’ont pas tous eu recours aux méthodes propres à leur mode de fonctionnement pour s’exprimer sur un sujet aussi controversé, les dépositaires de la sagesse ancestrale vont pourtant vite. On se trouve à un tournant où, ayant décidé de prendre les devants, ils défendent une cause qui n’est plus taboue. De la même façon que l’eau débordant d’une canalisation glisse en silence et arrive à vos pieds pendant que vous êtes occupé à regarder le petit écran, la démarche des sages du Congo pourrait, à terme, atteindre son point de non-retour et s’imposer comme une réalité dont il faudra s’occuper.

Sauf d’imaginer un scénario contraire qui arrêterait la machine ainsi lancée, la mobilisation observée chez les sages de la Likouala, du Niari, de la Sangha et de la Bouenza le sera sans doute dans les jours, les semaines et les mois à venir, parmi ceux des autres départements du Congo. On ne sera que peu surpris de voir la Lékoumou, la Cuvette, la Cuvette-Ouest, les Plateaux, le Pool, Pointe-Noire, le Kouilou et Brazzaville présenter chacun à son tour le cahier des charges invitant à la révision de la loi fondamentale. Les sages de ces départements profiteront soit de la présence du chef de l’État chez eux, soit d’une rencontre solennelle entre eux pour s’exprimer à haute voix sur cette question cruciale, sur laquelle, bien entendu, les avis restent tranchés.

Le jour où le fait accompli des sages atteindra son objectif, il restera pourtant l’essentiel du débat : que voudrait-on réellement introduire dans l’éventuelle future constitution ? Telle sera la question fondamentale. À plusieurs reprises, sans faire de propositions concrètes, les rares personnes qui ont pris la parole en faveur du changement se limitent, en quelque sorte, à réclamer une constitution à visage local, qui prendrait en compte les réalités nationales, s’appuierait sur « nos us et coutumes ». Ce sont là, à une nuance près, des paroles en l’air qui mériteraient d’être explicitées. Quelle place prendront par exemple les instances traditionnelles dans cette loi fondamentale à venir ? Quel rôle les royaumes et les chefferies tiendront-ils dans la future configuration institutionnelle ? Qu’est-ce qui manque dans la constitution du 20 janvier et qui gagnerait à être inscrit en bonne place dans la prochaine ?

Voilà autant de questions que les sages seuls ne pourront prétendre résoudre. Au demeurant, refuser de prendre en compte leurs revendications, leurs incantations si on veut, rejeter en bloc une palabre dans ce sens ne servirait pas nécessairement la cause de ceux qui ne voient dans ce mouvement qui risque d’être de masse que de la simple manipulation politicienne. Dans le moment présent où les partis politiques au Congo ont pour la plupart fait faillite moralement et spirituellement, les balises que posent les sages risquent d’avoir les ramifications d’une toile d’araignée capable d’apprivoiser jusqu’aux inconnus qui passent leur route. Communication et marketing politique n’auraient-ils aucun rôle à jouer en démocratie ?

De quatre déclarations actuellement, si les adhésions à l’idée d’une nouvelle constitution mobilisent à terme dans les douze départements du Congo, la marge de manœuvre des réprobateurs pourrait s’avérer étriquée. Les sages auront gagné la partie, presque une petite bataille, car ils ne serviront l’intérêt général que lorsque les auteurs de la future loi fondamentale en inscriront le caractère impersonnel dans du marbre et banniront à jamais la façon brouillonne et agitée de réfléchir à la cause nationale qui les a toujours caractérisés, eux et leurs prédécesseurs.

Gankama N’Siah

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