Réarmez-vous !

Dans les grands médias du monde investis par des stratèges et autres spécialistes des conflits armés, les hypothèses s’enchaînent au sujet d’un éventuel conflit d’envergure opposant les rivaux du moment que sont schématiquement les pays occidentaux et la Fédération de Russie. Le terrain ukrainien en ébullition depuis le lancement par Moscou de son « opération militaire spéciale », le 24 février 2022, est l’argument de poids de cette vision apocalyptique de l’avenir.

Quand bien même l’échange de prisonniers intervenu le 1^er août entre les deux parties est considéré par les observateurs comme un geste d’apaisement pouvant en appeler d’autres, rien n’exclut le choix d’une voie contraire. Etant parvenus à rendre la liberté à leurs compatriotes accueillis du reste en héros chez eux, les gouvernants peuvent se dire : « Eh bien, nos compatriotes attendus de longue date sont de retour au bercail et plus rien ne nous empêche d’en découdre par les armes » dans le cadre d’une guerre totale dont les jalons sont posés chaque jour à travers des discours publics bilieux et un réarmement soutenu.

S’équiper et toujours s’équiper en arsenaux sophistiqués devient le pain quotidien des puissances engagées dans un jeu de défiance qui n’a d’égal que leur volonté de casser la paix chèrement acquise par la communauté des nations, après le lourd tribut des deux guerres mondiales en 14-18 et 39-45 du siècle dernier. Tant pis, si à l’intérieur même des frontières de ces puissances le sort de la majorité des citoyens n’est toujours pas le plus enviable, l’essentiel étant de montrer à l’ennemi que le maintien de la position dominante passe avant le devoir sacerdotal d’œuvrer à la prospérité du genre humain.

Tout compte fait, nous vivons une période de lâcheté collective où les projets communs naguère portés au-devant des préoccupations des Etats – le cas de la Convention climat de Paris conclue en 2015- sont emportés par le fracas des déflagrations meurtrières dans la plus grande indifférence de la communauté mondiale. Une période de lâcheté collective où les instances diplomatiques de premier plan, l’ONU notamment, sont paralysées par la démission des dirigeants et de leurs représentants permanents.

Bien sûr, les chefs d’Etat se réuniront au mois de septembre prochain à New York, le siège des Nations unies, pour s’exprimer et ne pas trouver de solutions appropriées aux désastres en cours. En bons précurseurs, mais ils peinent eux aussi à produire du concret, les diplomates dans leurs échanges ininterrompus au Conseil de sécurité continueront plutôt d’étaler leurs dissensions. Il suffit de les écouter pour se convaincre de la fin presque actée des mécanismes du vivre-ensemble.

Ceci dit, si le titre « Réarmez-vous ! » employé dans ce texte paraît osé, rassurons-nous, il n’est nullement une façon d’inciter les Etats et les peuples à prendre les armes et se tirer dessus. Réarmez-vous, oui, en arguments ayant préservé pendant longtemps les relations internationales après 1945. De sorte que soient amenés à la table des négociations les principaux acteurs que les contradictions existentielles ont précipité dans le cul-de-sac des guerres ravageuses.

Ces acteurs sont en Ukraine et en Russie, en Israël et en Palestine ; ils sont au Yémen, en Syrie, et bien plus nombreux encore en Afrique, pour ne pas dire à l’Est de la République démocratique du Congo, au Soudan et au Soudan du Sud, en Libye et dans le Sahel. Car le risque est grand de voir d’autres foyers s’allumer dans d’autres régions du monde encore épargnées. Réarmez-vous, réarmons-nous de bonnes intentions, de bons procédés pour sauver l’humanité d’une démence potentielle aux conséquences incalculables. Pendant qu’il est encore temps !