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Planification stratégique de l’économie du Congo : la culture du résultat s'impose

Mardi 5 Août 2014 - 11:07

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Deux types d’approches de la planification stratégique mettent l’économie congolaise sous tension depuis 1960. La première est l’approche indicative, fondée sur la gestion décentralisée de l’économie dans une optique libérale, dans laquelle, les objectifs et moyens du plan sont définis à titre indicatif par le sommet stratégique et déclinés au niveau des échelons inférieurs, accompagnés d’un système d’indicateurs mesurant la performance et de remontée des résultats afin d’évaluer les éventuels écarts entre les réalisations et les prévisions. Les dépassements font, alors, l’objet d’analyse approfondie, afin de prendre des mesures correctrices.

Le Congo a hérité cette approche de la colonisation française (1891-1960), qu’il expérimenta dès son premier plan triennal 1961-1963. D’un montant total des investissements de 38 milliards FCFA, ce plan fut financé à 55,26% par l’exploitation du manganèse du Congo et à 44,74% par les emprunts. Dans ces emprunts, 32% furent constitués de fonds privés, 41% consentis par la coopération française et 27% par le secteur public congolais. Les infrastructures de base représentèrent 29% du total des investissements, le secteur primaire 22%, le secteur social 21%, l’urbanisme 17% et 11% pour les études et l’organisation. Le déficit budgétaire cumulé entre 1960 et 1963, s’élevant à 2,4 milliards FCFA, mit en péril ce plan. Pour réguler cette situation, le Gouvernement augmenta la pression fiscale de 17% du Produit intérieur brut (PIB) en 1960 et à 26% en 1963. Il prit des mesures d’austérité qui se soldèrent par une révolution marxiste-léniniste, les 13, 14 et 15 août 1963, sans que le taux de réalisation du plan ne soit connu.

La deuxième approche, est la planification centralisée que le Congo a héritée du bloc socialiste (1963-1992). Quatorze plans ont été développés dans cette orientation, dont 46,16% de plans quinquennaux, 23,08% de plans triennaux, 15,38% de plans biennaux et 15,38% de plans annuels. Parmi ces plans, distinguons :

1) le plan quinquennal (1963-1968) mis en place par le « Gouvernement des Technocrates », pour un montant total des investissements de 63,4 milliards FCFA, financés à 72,87% par des fonds étrangers et à 27,13% par les fonds publics du Congo. Le taux de réalisation est de 98,11%, dont l’infrastructure de base 36% des investissements, 28% le secteur productif, 4% le secteur social, 9% l’éducation et 23% les autres secteurs. Il engendra des violences politiques qui se soldèrent par le réajustement de la Révolution du 31 juillet 1968 ;

2) le programme triennal (1975-1977) d’un montant total d’investissements de 75,47 milliards de FCFA, financés par le pétrole et la potasse dans le cadre de la « Radicalisation de la Révolution». Le secteur primaire reçut 17,6%, le secteur secondaire 14,4%, le transport et les télécommunications 26.8%, le secteur commercial 4,6 % et le secteur tertiaire 36,6%. Il engendra des troubles socio-politiques dans le pays et ne fut réalisé qu’à 37% des prévisions ;

3) le plan quinquennal 1982-1986, destiné à soutenir « l’économie dynamique et autocentrée», pour 1 .180 milliards FCFA d’investissements, financés à 70% par la rente pétrolière et à 30% par les bénéfices des entreprises publiques. L’infrastructure de base représenta 50%, contre 35% pour le secteur productif, 2,3% pour le social, 2% pour l’éducation et 9,8% pour les autres secteurs. Le choc pétrolier de 1984 et les déficits cumulés de plus de 75 milliards FCFA entre 1982 et 1986 des entreprises publiques, permirent de réaliser 67% des prévisions. Mais, les déséquilibres économiques précipitèrent le pays dans la Conférence Nationale Souveraine de 1991-1992, qui remit en cause l’option socialiste du développement du Congo ;

3) les plans d’ajustement structurels (1987-1998), destinés à gérer le retour de l’économie socialiste vers l’économie libérale. On note parmi ces plans, le programme d’action de relance économique et sociale (PARESO) de 1994 à 1998, d’un montant de 158 millions d’UC, qui précipita le pays dans la guerre civile de 1997 ;

4) le programme intérimaire post-conflit (PIPC 1997-2003), destiné au réaménagement du territoire, pour un montant de 2011,065 milliards d’Euros d’investissements, financés à 75% par l’aide internationale et à 25% par les fonds propres du Congo. Il est exécuté à 100%, mais avec seulement 38,7% des investissements prévus dans les infrastructures de base, 3,7% dans l’agriculture, 2,7% dans l’industrie, 18,6% dans le secteur social, 1,7% dans l’éducation et 27% dans les autres secteurs. Ces réalisations permirent au Congo de négocier deux Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), financés par le Fonds monétaire international (Fmi). Le premier allant de 2004 à 2007 pour 84 millions de $US d’investissements dont seulement 6,5% ont été  réalisés dans l’agriculture, 0,9% dans l’industrie, 14,1% dans la santé, 4,1% dans l’éducation et 28% dans les autres secteurs. Le deuxième Document allant de 2007 à 2010 pour 4513,29 millions de $ US dont 45,90% affectés à la la gouvernance et à la souveraineté, 25,07% destinés à l’infrastructure de base, 12,78% à l’éducation et à la santé, 3,96% à l’agriculture, 1,71% à l’industrie et 10,58% affectés aux autres secteurs. Il intègre l’aide au développement des Nations unies (UNDAF) au bénéfice du Congo pour 100 232 374 $ US entre 2007 et 2013. Les services sociaux et l’éducation consomment 50,69% de ces investissements, la gouvernance 32,24% et la sécurité alimentaire et nutritionnelle 17,07%.

Ainsi, la pratique de la planification stratégique de l’économie du Congo mobilise plus d’investissements dans les infrastructures de base que dans le secteur productif, social et éducatif. Le faible taux de réalisation des plans, montre que la rationalisation des projets est limitée par l’instrumentation du plan comme principal levier de la gouvernance économique qui entretient la culture de l’échec. Pour sortir du cycle infernal de l’échec de la planification stratégique et aller plus sûrement vers l’émergence du Congo d’ici à l’an 2025, le plan indicatif, fondé sur la culture du résultat, en termes d’efficacité, d’efficience et d’effectivité, devrait être la chose la mieux partagée par tous.

Par Emmanuel OKAMBA, Maître de Conférences HDR en Sciences de Ge

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Édition Quotidienne (DB)

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