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Le « Rossignol » Jacques Loubelo ne chantera plus

Vendredi 11 Octobre 2013 - 8:39

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Comme il a vécu, il est parti. Humblement et en toute simplicité. Jacques Loubelo est décédé le 26 septembre 2013 au centre hospitalier universitaire. Il avait 73 ans.

Que dire de cet artiste immense qui a marqué la musique congolaise de ses complaintes, tirées du terroir kongo, dont la saveur et l’intelligence du propos fondent la beauté : Nao Tsetsa, Pasi zo, et l’indémodable Congo [ekolo monene], une chanson tellurique ? À travers cette ode à l’harmonie nationale, Loubelo exprime la beauté du Congo pour montrer le chemin de l’unité aux Congolais. Il confère à chaque mot une densité émotionnelle exceptionnelle. Il y exalte le bonheur d’être congolais. Le peuple a bien compris cet hymne au pays et l’a sacralisé. Le Congo a trouvé en Jacques Loubelo un « soldat des mots » efficace par la grâce de sa poésie euphorisante. Et il n’est de cérémonie commémorative qui ne soit ponctuée par cet air. Par delà le temps, Congo conserve son éclat d’intemporelle splendeur.

Tôt en cette décennie 1960, Jacques Loubelo se jette dans les bras d’Orphée en arpentant le chemin des chorales à Bacongo et Ouenzé. C’est le 7 juin 1964 que commence véritablement sa véritable aventure musicale en compagnie de ses congénères des Cheveux crépus : Prosper Nkouri, Maxime Kibongui, Fidèle Massamba (Sammy), Koster Massamba, Mouninguissa, Ntélasamou Bruno, Pierrette, Madeleine Gandou, Victoire Mialebama et Nsona Yvonne. Une aventure qui fera de nombreux émules.

Les Cheveux crépus détonent dans l’espace musical brazzavillois par une orchestration minimale. Les chœurs y sont mis en valeur par des mélodies somptueuses. Ce groupe doit sa célébrité à Radio Congo. Portée par les ondes puis par le vinyle, en 1966, la chanson Nao Tsetsa de l’emblématique Jacques Loubelo est éditée, cette année-là, par Congo Vox sous la référence Cov 1. Elle a su trouver son interprète, Rosalie Vouka, et traversé les océans, au point de séduire Miriam Makeba qui en a fait une célèbre reprise. Suprême reconnaissance. D’un point de vue musical, la chanson de Jacques Loubelo est, à la fois, l’expression et l’illustration d’un véritable retour aux sources de la musique congolaise, à ce passé lyrique, au temps où la voix en était l’élément prédominant. Faut-il le rappeler, la musique congolaise moderne a trouvé sa voie à travers la voix de ses chanteurs : Paul Kamba, Massamba Lebel ou Eboma Mwan’Odile, dans des orchestres à dominante vocale : Bonne Espérance, La Bohême, pour ne citer que les plus importants. C’est une analogie rédhibitoire, mais pertinente.

Dans le sillage des Cheveux crépus, Les Mains blanches, Les Pattes tendres (ancêtre des Anges), Les Griots, Les Élus, Les Échos noirs, Les Cols bleus, Les Orphelins et tutti quanti, dans un dynamisme fécond, ont perpétué ce genre musical qui est resté l’apanage de la musique congolaise rive droite. Il a explosé, au plan national, lors de la première Semaine culturelle congolaise en 1967. Il a pu, dans la foulée, s’imposer à l’extérieur. L’ouverture des groupes vocaux à l’étranger peut être mise au crédit du père de La Bretèche qui en a été l’initiateur. La magie des Cheveux crépus, des Échos noirs et surtout des Mbamina a fait le reste. Par la suite, seul un petit groupe de néo-artistes a su s’abreuver à cette bonne source. Kalidjatou en fit partie un moment. Mais son Premier Salaire englouti, il n’a pas réussi, semble-t-il, à trouver de ressources suffisantes pour continuer à nous subjuguer. Heureusement que, dans ce domaine, Zao et Sita Philippe poursuivent, avec un réel succès, leur plongée dans des thématiques aussi déroutantes qu’iconoclastes, toujours plaisantes.

Au moment où Jacques Loubelo Rossignol s’emmure définitivement dans le silence, ses chansons, qui conservent leur grain d’éternité, continueront longtemps à nous émouvoir. Ce qui n’est pas toujours gagné pour un artiste. Avec son répertoire, qu’il nous lègue, nous sommes aux antipodes des chansons simplettes et mièvres, au contenu affligeant et de fade médiocrité qui font florès actuellement. La navrante banalité des paroles est, aujourd’hui, reine dans la chanson congolaise. Dommage…

Salut l’artiste !

Mfumu

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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