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Le monde vu de BrazzavilleLundi 10 Février 2014 - 2:18 Vu de Washington, de Pékin, de Paris, de Moscou, de Tokyo, de New Delhi, de Brasilia, le monde évolue dans des directions différentes que les grands médias internationaux se font un devoir de tracer avec attention. Mais bien peu d’entre eux cherchent à savoir ce que l’Afrique pense réellement des évolutions en cours sur les cinq continents alors que les Africains, tout le monde en convient désormais, influeront de façon décisive sur l’évolution de la planète dans un avenir proche. Voici donc une esquisse très schématique de la perception de cette évolution que l’on a aujourd’hui, à la jonction de l’hémisphère nord et de l’hémisphère sud, sur les berges du mythique fleuve Congo. 1) Les rapports de force internationaux se modifient plus rapidement qu’on ne le pensait jusqu’à présent, avec une percée spectaculaire de la Chine, tout particulièrement dans le domaine militaire ; une renaissance accélérée de la Russie, dont témoignent les jeux Olympiques d’hiver à Sotchi ; un affaiblissement lent, mais continu de l’Europe dû à la faiblesse de sa gouvernance politique ; un retour au réalisme géostratégique timide, mais bien réel des États-Unis. 2) Simultanément, les percées technologiques rendues possibles par l’informatique révolutionnent au sens propre du terme les échanges entre les hommes, et donc entre les peuples. Si elles permettent d’immenses progrès dans tous les domaines, elles font également pénétrer l’humanité dans un univers inconnu dont le pire comme le meilleur peuvent sortir. Nul, en effet, ne peut se vanter de maîtriser les évolutions politiques, économiques et sociales que portent en eux les progrès techniques et scientifiques. 3) La fin de la guerre froide a profité un temps aux puissances occidentales, mais les erreurs commises par ces dernières dans la gestion des crises au Moyen-Orient (Irak, Afghanistan) comme en Afrique (Soudan, Libye), et plus encore leur incapacité à gérer correctement les troubles économiques engendrés par l’ultra-capitalisme dont elles se sont fait les hérauts, ont provoqué un retournement de situation spectaculaire. Les valeurs qu’elles prétendaient imposer au reste du monde, ayant montré leurs limites, tendent aujourd’hui à devenir des repoussoirs. 4) Dans ce nouveau contexte, les pays dits émergents, en Afrique comme en Amérique latine et en Asie, n’entendent plus se laisser imposer des modèles dont ils mesurent très concrètement les défauts, les faiblesses, les abus. Même si cela ne se voit pas encore très clairement, le réalisme du tiers monde entraînera à brève échéance un rééquilibrage, une refonte de la gouvernance planétaire dans tous les domaines : politique, économique, financier, diplomatique et même culturel. 5) L’homme ne changeant pas au tréfonds de lui-même en dépit des progrès qu’il accomplit dans les domaines techniques et scientifiques, le recours à la violence pour faire aboutir des revendications millénaires n’a rien d’illusoire en Asie, au Proche-Orient, voire en Europe. Une guerre entre le Japon et la Chine, entre Israël et l’Iran, entre la Russie et l’un ou l’autre de ses voisins est toujours possible, car le feu peut naître à tout instant d’une étincelle non maîtrisée. Plus que jamais donc l’humanité vit dans un contexte incertain, instable, dangereux même. 6) La preuve que ce qui précède est vrai nous est donnée par la montée de l’intolérance religieuse, du fanatisme, de la violence ethnique, du racisme qui ont toujours perturbé les relations humaines, mais qu’amplifient démesurément aujourd’hui les moyens de communication instantanés. Jadis limitées par le temps et l’espace, ces dérives prennent une dimension telle que l’on en vient à douter de la capacité des États, y compris les plus puissants, à s’en protéger efficacement. 7) L’Afrique détient, quant à elle, deux cartes maîtresses qu’elle n’a pas encore utilisées pour s’affirmer sur la scène mondiale : son dynamisme humain d’une part, l’abondance et la diversité de ses ressources naturelles d’autre part. Même si, en diverses régions du continent, des crises surgissent ou resurgissent qui menacent sa stabilité et donc son émergence, elle peut s’imposer comme un acteur incontournable des temps à venir. Mais elle doit pour y parvenir se doter d’institutions adaptées à ce grand dessein et des moyens de pression correspondants. C’est tout l’enjeu des décennies à venir. Banalités que tout cela, dira-t-on. Certes, mais l’avenir de l’humanité se construit depuis la nuit de temps sur des réalités terre-à-terre. Et cela continuera même si l’homme se dote de moyens encore plus sophistiqués que ceux dont il use aujourd’hui. Gardons donc les yeux ouverts et continuons d’observer l’actualité depuis les berges du mythique fleuve Congo sans céder aux mirages. Jean-Paul Pigasse Edition:Édition Quotidienne (DB) |