Les Dépêches de Brazzaville



Bande dessinée : Ébène Duta, héroïne fantastique qui bouscule les préjugés


La rencontre a lieu au Musée Galerie Congo. On y découvre une jeune femme qui a toujours rêvé d’être bédéiste. Joelle Ebongue, l’auteur de La Vie d’Ebène Duta, de son vrai nom, a griffonné de nombreux dessins et écrit de nombreux textes avant de publier sa première BD en 2011grâce au crowfunding, un système de financement participatif ayant généré  un peu plus de 15 000 euros.

Elyon’s, issue d’une famille chrétienne, a été prolifique dès son jeune âge. À 8 ans, elle écrivait des histoires complètes et originales. « Très tôt, c’est ce que je voulais faire », dit-elle avec assurance. Les anecdotes autour de cette passion naissante sont légion. Dans son imaginaire de petite fille, nourrie de films d’animation de Disney, la petite fille d’autrefois n’avait qu’une obsession : devenir dessinatrice et réussir à son tour, comme à une époque Walt Disney. En effet, le producteur américain Walter Elias Disney dit Wat apparaît dans le cheminement de Elyon’S tel un carrefour, tant la fascination qu’elle avait sur ses œuvre a énormément nourri son imaginaire. « Enfant j'étais simplement fascinée par le fait qu’un être humain reproduise et recrée ce qui est dans le réel », confie-t-elle. Adulte désormais, cette  analyse a pris un peu plus de profondeur. « Je veux reproduire des espaces temps où plonger des lecteurs, dans un univers autre. Je deviens alors un petit dieu dans mon monde.», dit-elle. 

Sa licence en lettres obtenue à l’Université de Buea au Cameroun, la jeune femme s’envole pour la Belgique et se forme trois ans durant à l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège. Elle approfondit ses connaissances sur les  techniques d’écritures et les exigences du métier. Sortie de là, son univers est composé de registres très sombres, frôlant le dramatique avec des faits de société sans aucune trace d’humour. Mais sa rencontre avec le Gabonais Pahé et le belge Éric Warnot, tous deux dessinateurs expérimentés, réussira à  remettre en question son style. À l’écoute de ses aînés, Elyon’s fait le pari de l’autofiction. Un univers qui la sert jusqu’ici.

 « C’est quoi tes histoires que tu racontes-là alors que ta vie à l’air plus bien drôle ! »

Cette phrase lancée par les dessinateurs Pahé et Éric Warnot lui ouvrira définitivement la voie avec, à la clé, la sortie du tome 1 de La Vie d’Ebène Duta. Aussi déconcertante qu’elle peut paraître, la phrase illustre son cheminement. « Hier on aurait dit que j’ai très souvent la poisse, mais aujourd’hui on dira plutôt que j’ai beaucoup de chance. Mais lorsque tu cumules au quotidien des gamelles, des rejets ou des échecs, tu as le choix en décidant que ta vie c’est de la merde, soit de t’arrêter soit d’en faire quelque chose. » En fait, les aventures personnelles d’Elyons ont toujours fait rire son entourage, tant leur évidence dépasse par moment les limites de la réalité. Et même si cela lui sert de source d’inspiration, elle ajoute, un brin désarçonné : « Je suis le genre de personne qui va attendre dans une file d’attente pendant trois heures et c’est juste au moment de me servir que la dame va décider d’aller se soulager et de ne plus revenir parce qu’il y a eu encore une autre embrouille… »

Le succès débutant de celle qui " a bien raté sa vie"

La vie d’Ebène Duta est un ensemble de minisodes (mini-épisodes) rejouissants. L’aventure d’Ébène Duta, personnage créé par l’auteur en 2009 se dévoile au public d’abord sur le blog de l’auteur ; puis sur facebook dès la fin 2010. De nombreux followeurs suivent la jeune femme, s’identifient, se reconnaissent dans les gags que forme la bande dessinée, inspirée de la vie réelle ou fantasmée. Ébène Duta est une jeune étudiante de 25 ans. Loin de son pays, elle multiplie des aventures drôles, caustiques mais toujours empreints de beaucoup de réalisme et vérité.

Mais derrière ces nombreux gags se cache un vrai travail d’écriture avec un scénario abouti qui ajoute du poids au dessin dont le trait suscite l’admiration. Et le succès de La vie d’Ebène Duta est réel. Pourtant « travailler dans l’humour est un exercice très difficile, reconnaît Elyon’s. Ce qui te  fait rire peut ne pas me faire rire.» Ce point de vue réaliste sur le caractère suggestif de l’humour est une évidence. « Les humoristes qui marchent dans l’international sont rares ».

Le recours au crowfunding s’explique par le rejet de nombreux éditeurs qualifiant son projet de pas très exotiques. Pour nombre d’entre eux, l’histoire d’une jeune femme noire vivant légalement en dehors de son territoire d’origine n’a rien de vendeur faute de pirogue, de Noirs sans papiers, ni de pagne…Sa témérité, ajoutée aux conseils de Matthieu Glez, directeur du Lyon BD festival et au succès de la  collecte sur la plate-forme Ulul, a fini par tordre le cou aux préjugés et obstacles des éditeurs.

À ce jour, La vie d’Ébène Duta est lue dans quarante-trois pays à travers le monde. Elyon’s multiplie des projets et va de festival en festival pour présenter sa BD avec l’ambition d’affirmer son héroïne « Aujourd’hui encore, dit-elle l’air rieuse, j’essaie d’accentuer le personnage en portant par exemple la même coupe de cheveux qu’elle puisque tout le monde a décidé que c’était ma vie

Plutôt contente du cheminement du tome 1 de La vie d’Ébène Duta, Elyon’s semble impatiente de repartir vers son public avec un nouveau projet : le tome 2 de la bande dessinée. «J’aimerai faire des teasing sur le tome 2, interagir avec le public et voir leur réaction. Cela me donne un lien direct avec les consommateurs qu’ils aiment ou pas. ». 


Meryll Mezath