Les Dépêches de Brazzaville



Cop 21/ Pouria Amirshahi : "L’imagination vient souvent des pays qui sont contraints de se passer de moyens"


Les Dépêches de Brazzaville. Quels sont les enjeux spécifiques liés au développement durable pour votre circonscription?

Pouria Amirshahi. Dans les 16 pays de ma circonscription, on retrouve l’ensemble des enjeux qui touchent les pays en développement : comment se développer de manière non polluante, comment financer l’adaptation de son territoire à des impacts du changement climatique qui s’observent déjà, tout en luttant contre la pauvreté, et cela avec des budgets très limités : ce sont des défis que les pays africains connaissent bien.  J’ajouterai une chose : les négociations internationales, et c’est le cas pour la COP 21, se font souvent de manière intensive, en anglais, sur des dossiers très techniques. Les pays francophones peinent à imposer l’utilisation du français comme langue de travail.

  D.B. Quelle est la position particulière d’un représentant des Français de l’étranger dans la cop 21 qui représentent des États ?

P.A. Les Français de l’étranger sont témoins du changement climatique et beaucoup s’engagent concrètement, d’autant que la COP 21 a été accueillie par la France. Si la COP 21 est une négociation entre Etats, on observe aussi que la mobilisation des sociétés civiles est forte, car le changement climatique est un enjeu crucial de société, qui nous concerne toutes et tous. Mon rôle est de porter ces préoccupations, de travailler à ce que d’autres modes de développement soient rendus possibles. La France peut y contribuer avec son aide au développement en particulier. 

DB. Quelle peut être  l'implication de la société civile dans cette COP 21 ?

P.A. Les sociétés civiles fourmillent d’initiatives et d’idées originales qui permettent de donner à voir ce que peut être le monde de demain. C’est une action fondamentale : montrer que les sociétés sont en marche, développent des alternatives et créent un monde plus durable, plus juste. La COP 21 est le moment pour faire grandir ces voix et mettre en lumière d’autres voies de développement qui émergent dans de nombreux pays. L’imagination vient souvent des pays qui sont contraints de se passer de moyens.

D.B. Quelle action serait pertinente?

P.A. Ce qui serait pertinent, c’est que cette mobilisation de la société civile soit entendue, que les Etats qui les représentent agissent collectivement et que de cette négociation sorte un accord ambitieux.  Concrètement la priorité selon moi doit être affectée à la reconstruction des Etats fragiles, faillis ou en faillite. Sans cela pas de paix ni de développement possible.

D.B. La Lutte contre le réchauffement climatique peut-elle constituer une opportunité pour réfléchir collectivement aux conditions d’existence d’une mondialisation ou d’une croissance durable ?

C’est plus qu’une opportunité, c’est une nécessité. En même temps que l’on réfléchit à des modes de développement nouveaux, il est indispensable de mettre au centre l’idée de justice : le développement doit être juste et équitable autant qu’il doit être durable.

D.B. N'y a-t-il pas injustice à demander aux pays en développement de sacrifier ce développement pour l'écologie là où les pays occidentaux se sont développés sans prendre en compte l'écologie ?

En effet, il y a une injustice, les pays occidentaux ont été historiquement les premiers pollueurs, tandis que les pays en développement sont les premiers affectés par les impacts du changement climatique. C’est pour cette raison que nous devons prendre nos responsabilités et contribuer au financement de l’adaptation, comme nous nous y sommes engagés lors de la conférence de Copenhague en 2009. Mais il ne s’agit pas de sacrifier le développement pour l’écologie : le développement, pour être durable et juste, doit se faire différemment.

D.B. Comment faire en sorte que la lutte contre le réchauffement climatique et les normes qui seront adoptées ne soient pas des freins pour le développement de l'Afrique ?

P.A. En envisageant le développement différemment. Ce qui est important n’est pas le développement en soi, mais un développement qui profite aux populations et qui est durable. Par exemple, plutôt qu’une agriculture industrielle intensive et polluante, investir dans l’agro-écologie permet de développer une agriculture réellement durable et de garantir la sécurité alimentaire d’agriculteurs qui sont souvent en Afrique parmi les populations les plus pauvres.

D.B. Concernant la région du Bassin du Congo, la déforestation est un sujet grave et l'équilibre du climat mondial est en lien étroit avec le climat européen et africain ?

P.A. Le Bassin du Congo héberge la plus vaste forêt tropicale après l’Amazonie. Sa déforestation est donc en effet un sujet grave, avec un impact sur toute la planète car elle est responsable d’une partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

D.B. Que pensez-vous de ces dérèglements climatiques et des migrations climatiques que cela peut entraîner à terme ?

P.A. Il est logique que du fait de la hausse des températures, de la raréfaction des terres arables et des guerres, de plus en plus de personnes migrent. De fait on parle aujourd’hui de réfugiés climatiques, même s’ils ne sont pas reconnus en tant que tel dans les accords internationaux. C’est une question que l’on ne saurait esquiver.

Pouria Amirshahi.  Né en 1972 en Iran, arrivé en France en 1976. Député depuis 2012, il est membre de la commission des Affaires Etrangères et préside l’Institut de relations internationales et stratégiques. Engagé en faveur de la francophonie, il est l’auteur d’un rapport d’information sur la francophonie éducative, culturelle et économique intitulé « Pour une ambition francophone ». Pour plus d'informations: http://www.pouriaamirshahi.fr/ 

 


Propos recueillis par Florence Gabay

Légendes et crédits photo : 

Légende 1: Pouria Amirshahi est persuadé que les sociétés civiles ont un rôle très important à jouer dans la luttes contre le développement durable (crédits photo Camille Delourme) Légende: Le député des Français de l'étranger n'a pas attendu la COP 21 pour s'intéresser au Bassin du Congo: en mars 2015, il était venu acheter quelques ouvrages sur le stand Livres et Auteurs du Bassin du Congo (crédits photo Camille Delourme)