Les Dépêches de Brazzaville




Couleurs de chez nous: « Ma place »


Dans son format et dans son exploitation, le transport urbain au Congo ne manque pas d’interpeller. Aux nombreuses questions qui restent sans réponse s’ajoute cette formidable possibilité qui s’offre aux observateurs de comprendre le fonctionnement de la société congolaise le temps d’un trajet.

Commençons par cette dispute née de rien entre deux jeunes dames assises à bord. La formule veut qu’à certains arrêts, certains passagers descendent aussi pour laisser passer ceux dont c’est effectivement l’arrêt de destination. C’est ainsi que celle-ci descendit et une autre passagère, se sentant dans l’inconfort, profita pour s’asseoir à la place laissée par l’autre. La première occupante en remontant découvre l’intruse. Elle est contrainte de s’asseoir ailleurs mais non sans exprimer sa colère et sa déception. Et c’est parti !

Qui a raison et qui a tort ? Ces cas sont légion et, comme dit plus haut, ils traduisent une certaine culture et un mode vide bien congolais. Dans l’exemple des deux dames en bisbille, il apparaît une évidence : la non indication des places pour tel ou tel autre passager. Si bien que chacun fait à sa façon avec tous les dommages que ce comportement peut causer.

On observe ce comportement lors des rassemblements. Il est des individus, arrivés avant, qui se permettent de réserver des sièges pour leurs proches privant ainsi d’autres participants ou invités de meilleures places pour s’asseoir. Il n’est pas étonnant de voir des gens debout alors que de nombreuses chaises sont non occupées.

  • « Je peux m’asseoir ici ? » 
  • « Non ! La place est occupée. La propriétaire arrive. »

Vous avez dit propriétaire ? Ainsi parlent les Congolais même pour ce qui ne leur appartient aucunement. Un vice qui conduit les gens de chez nous à lorgner le bien de l’autre. Faut-il, ici, évoquer les nombreux différents d’ordre foncier ? Un phénomène qui se lit simplement à travers les écrits placardés dans certaines concessions du genre : « Parcelle occupée par… » ou « Cette parcelle n’est pas à vendre ».

A l’école, le déficit en tables bancs a mis en exergue cette appropriation des sièges par certains élèves au détriment des autres. Les lève-tôt ou les riverains ayant plus de fortune en la matière que les lève-tard et ceux venant des quartiers lointains. Même constat dans les églises de réveil où on remarque une ligue des privilégiés admis au prétoire tandis que d’autres « fidèles » doivent suivre le culte sous le soleil et dans la rue sans jamais avoir la chance de s’asseoir sur un siège. Au nom des places réservées !

Dans les marchés de Brazzaville, par exemple, l’accaparement des places par certains vendeurs a poussé les autres à étaler leurs marchandises le long des avenues ou sur la chaussée. Conséquence : les nombreux marchés informels qui pullulent dans la ville aux endroits non indiqués.

Ici et là, l’absence de normes ou de régulation fausse l’harmonie sociale, car elle laisse transparaître des injustices couplées aux frustrations.  

Van Francis Ntaloubi