Les Dépêches de Brazzaville

Evocation : 15 août 1963, Ockyemba Morlendè et ses compagnons

Quelques jours après son décès survenu le 8 février 2010, sa famille, des amis et des connaissances conduisaient à la sainte-Place de l’ineffable paix auprès du père éternel la dépouille de celui qui fut Pascal Ockyemba Morlendè, le révolutionnaire immortel des journées des 13, 14 et 15 août 1963. L’illustre François Itoua, journaliste vedette des années 60 lut alors d’une voix grave une oraison funèbre qui commençait par « un homme est mort dans l’anonymat général ! ». Ce fut un verdict de procureur contre l’hypocrisie et l’artificialité de ceux qui vivent d’étiquettes à la mode, révolution, socialisme, démocratie…Pascal Ockyemba Morlendè méritait mieux, en effet.

Quand le destin aléatoire le croisa sur son chemin en juillet-août 1963, il approchait déjà la trentaine. Il avait alors déjà cumulé une expérience administrative allant de l’instituteur à Baratier (Kinkembo) au chef syndicaliste en passant par une multitude d’emplois dont celui de journaliste à la Semaine de l’AEF. Il présida en 1958 le comité d’accueil lors de l’arrivée de Charles de Gaulle à Brazzaville.

En 1963, le président Fulbert Youlou lança un nouveau chantier politique qui était la création d’un parti unique nécessaire dans sa compréhension à la réalisation de l’unité nationale. Mal encadré, mal présenté, le projet ouvrait la porte qui allait le conduire en prison !

 Après avoir réussi à écraser et domestiquer l’opposition politique quelques années plutôt le président avait toutes les cartes en main pour un règne de tout repos. Aussi, l’idée d’ajouter une nouvelle instance dans son escarcelle parue abusive et saugrenue à la société civile représentée par les syndicats.

Dirigeant de la Confédération africaine des travailleurs croyants, (CATC), Ockyemba et ses camarades d’autres syndicats, CGTA, CASL, firent front. Ils craignaient une dérive autoritariste du futur parti unique « instrument de domination et d’oppression des masses populaires et de la dictature d’un homme, le chef de l’Etat ». A la place du parti unique, ils proposaient « un parti uni, démocratique » où coexisteraient la thèse et l’antithèse. En clair, ils militaient pour une gouvernance dirigée par une coalition de partis à l’intérieur de laquelle chaque entité gardait sa liberté. N’ayant pas réussi à s’accorder, les syndicalistes recoururent à leur arme fatale : la grève.

Et ce fut le début des fameuses journées des 13, 14 et 15 août 1963 connues dans notre histoire comme des journées révolutionnaires. L’activiste camerounais Woungli Massaga et le sociologue congolais Remy Boutet ont dépeint ces journées dans deux livres qui font autorité. La centralité de la figure altière d’Ockyemba apparaît incontestable. Il fut en tous points l’homme de la situation. C’est lui qui électrisa les foules à la gare. C’est lui qui agita l’égide de Zeus aux gendarmes devant les portes de la Maison d’arrêt et qui conduisit la prise de cette dernière. C’est lui qui négocia la neutralité des troupes françaises et obtint que Paris lâche Youlou. C’est lui, enfin, scène finale de l’insurrection, qui brandit au peuple rassemblé devant le Palais présidentiel la lettre de démission du président.

Ockyemba Morlendè, pendant ces trois journées de lutte contre « la dictature d’un seul homme » fut l’homme providentiel de la liberté conduisant le peuple comme la Marianne d’Eugène Delacroix brandissant le drapeau tricolore aux insurgés des journées parisiennes de 1830.

 Le destin en ces jours dramatiques lui avait réservé de jouer cette partition pour le Congo. Et, il la joua avec brio, en plus de l’honneur. La spontanéité avec laquelle il était entré en action sur la scène politique nationale ne lui laissait pas de chance de prospérer pour cet homme honnête et loyal. Ephémère président du Conseil national de la révolution (CNR), il devint un ministre tout aussi éphémère du gouvernement Massamba-Débat.

Dans la nuit du 14 au 15 février 1965, il fut enlevé en même temps que le docteur Galiba. Torturé à Makala, il eut la vie sauve grâce à la vigilance d’un citoyen, Jean Makosso qui avait alerté les gendarmes sur les mouvements suspects des miliciens de la JMNR. Relégué dans l’oubli en dépit des efforts ultérieurs du président Marien Ngouabi, il ne devait plus jamais remonter l’échelle du paysage social qu’il avait contribué à lancer.

Un jour quand les générations futures se pencheront sur les Trois journées d’août 1963, l’Histoire reconnaissante érigera un monument à la mémoire de Pascal Ockyemba Morlendè et ses compagnons, Julien Boukambou, Aimé Matsika, Gilbert Pongault, Abel Thauley-Nganga, NGandou et les autres pour avoir démasqué les prémices de l’arbitraire et montré la voie de la liberté au peuple. « Un parti uni démocratique à la place d’un parti unique totalitaire », c’est-à-dire une coalition de partis libre de leur choix à la place de la dictature d’un seul parti. N’est-ce pas là, l’aspiration politique principale de tous les peuples du monde depuis l’effondrement du Mur de Berlin ? Ainsi, Ockyemba et ses compagnons furent des visionnaires : ils venaient de lancer la première Refondation du jeune Etat congolais. Qu’importe si les évènements les ayant échappé, l’objectif de leur lutte fut détourné.

 



François-Ikkiya Ondaye-Akiéra