Les Dépêches de Brazzaville




Evocation : Alexandre Pouchkine, un héritage africain


Je vais encore emprunter à Aimé Césaire pour placer Alexandre Pouchkine parmi les "noms à réchauffer dans une paume d’un souffle fiévreux". Certainement, pour nos écoliers, ici au Congo, comme dans toute l’Afrique francophone et anglophone, l’intitulé « Alexandre Pouchkine » n’indiquerait rien de plus qu’un vague souvenir de quelque chose parmi les innombrables noms venus des contrées slaves entendus aux actualités du journal télévisé de 20 heures.

Mais, pour les pères de ces écoliers, voire pour certains de leurs aînés que le destin aléatoire a pu conduire dans l’ex-Union soviétique ou dans la Russie actuelle, parler d’Alexandre Pouchkine c’est évoquer pour le peuple russe l’avènement et l’envol du Verbe-lumière comme le postule Jean dans les Saintes Ecritures : « Au commencement était le verbe ! ».

La fixation des différentes langues par le verbe écrit n’a jamais été une sinécure pour tous ceux qui s’y sont frottés. La destruction de la civilisation gréco-romaine par les Barbares germaniques, au IVe siècle, avait eu pour conséquence, entre autres, de permettre, à l’ère des renaissances européennes, à chaque nation de débrouiller, de forger sa propre langue.

A ce jeu, ce sont les Anglo-saxons qui tirèrent leur épingle du jeu avec l’inégalable William Shakespeare dès le XVIe siècle avec les Espagnols menés par le génial Cervantès. En France, dans son Art poétique qui date de 1674, Nicolas Boileau-Despréaux s’exclamera au Chant I : « Enfin, Malherbes vint, et, le premier en France/ Fit sentir dans les vers une juste cadence,/D’un mot mit en sa place enseigna le pouvoir,/ Et réduisit la muse aux règles du devoir/Par ce sage écrivain la langue réparée/ N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée».

Ce processus de réparation de la langue et d’épuration de l’oreille se poursuivit en Europe slave dès le début du XIXe siècle avec l’apparition de deux géants littéraires en Russie et en Pologne qui naquirent à une année d’intervalle, en 1798 pour le Polonais Adam Mickiewicz et le 6 juin 1799 pour le Russe Alexandre Pouchkine.

Comme novateur de la langue, Pouchkine est apparu en Russie comme François Malherbes en France dont nous venons de citer l’éloge de Boileau. Mais, plus que Malherbes, le premier apport décisif de Pouchkine dans la fixation de la langue littéraire russe est celui d’avoir arraché cette langue au slavon, langue administrative et religieuse où le commun des mortels perdait son latin. Son second mérite est celui d’avoir créé une conscience nationale à la langue russe en la libérant des influences étrangères.

Dans son éloge lors de l’inauguration du monument au poète en 1880, à Moscou, le grand romancier Fiodor Dostoïevski insistait longuement sur ce dernier aspect pour aboutir à l’universalité de Pouchkine comme créateur littéraire et comme génie prophétique. L’écrivain Nicolaï Gogol, dont Pouchkine fut le mentor qui  inspira le « Revizor »  et « Les Ames mortes », parlera du poète en termes « de phénomène extraordinaire et unique manifestation de l’âme russe ».

Alexandre Sergueïvitch Pouchkine avait une ascendante négroïde africaine comme avant lui bien d’autres Européens. Je citerai comme exemple Septime Sévère, l’un des plus fameux empereurs romains né en Libye, d’ascendance négroïde. Ou encore, le plus grand romancier français, Alexandre Dumas.

Abraham Petrovitch Hannibal, l’arrière-grand-père noir de Pouchkine, arriva en Russie encore à l'âge d’environ 8 ans en provenance de Constantinople, envoyé par le sultan ottoman au tsar russe en signe d’amitié. C’est l’époque où le peuple noir subissait le joug génocidaire des trafiquants arabes et ouest-européens. Il est certain que cet enfant soit né en territoire ottoman où fourmillaient de nombreux infortunés blancs et noirs.

En Europe slave non mêlée à la curée esclavagiste transatlantique ou transsahara, l’enfant connut un destin princier. Filleul de l’empereur (d’où le patronyme Petrovitch), le garçon fut élevé à la Cour, devint ingénieur militaire et termina sa vie comme général, philosophe et mathématicien. Le baron de Wrangel, général tsariste qui faillit avec les généraux Denekine et Koltchak renverser la Révolution d’Octobre 1917, était aussi de la descendance de ce jeune filleul de Piotr Ier .

Alexandre Pouchkine était fier de son origine africaine et le revendiquait haut et fort dans son œuvre où il parlait du « soleil de mon Afrique ».

Enfin, comment ne pas souligner le lien mystique entre le tsar et son filleul africain en termes d’un prêté pour un rendu quand on se rend compte que l’arrière-petit-fils du filleul africain deviendra le divin chanteur de l’œuvre monumentale de Piotr le Grand ?

 

François Ikkiya Onday-Akiera