Les Dépêches de Brazzaville




Evocation : la nuit des innocents (suite)


Dans son édition du 28 février 1965, en page 3, l’hebdomadaire catholique, la Semaine Africaine, avait publié l’une des annonces laconiques, parmi les plus sinistres de toute son histoire. Logée dans un encadré noir gras, et libellée dans un style sobre, l’annonce n’était pas sans rappeler des accents lugubres de certains poèmes de l’Américain Edgar Allan Poe.

Le docteur Bernard Galiba, futur professeur émérite en médecine était ministre de la Santé dans le cabinet de Pascal Lissouba formé après l’élection du président Massamba-Débat en décembre 1963. Le docteur Galiba avait été le rival direct de M. Lissouba pour occuper la Primature. En termes de géopolitique, il avait été conseillé au président Massamba-Débat de préférer ce médecin de Boundji, sur l’Alima, au centre-nord du pays à la place de Pascal Lissouba, ressortissant comme le président du sud du pays. Il s’en était fallu de peu. A l’heure des règlements de compte, le nom du docteur Galiba n’avait pas été oublié.

M. Joseph Pouabou était au moment de son assassinat, le Congolais le plus titré en termes de diplômes glanés et de postes administratifs occupés. Né en 1917, de parents Vili de la Côte-Atlantique, il avait grandi à Dolisie-Loubomo avec ses parents membres d’une nombreuse colonie des Loangos. Très jeune, il parcourut tout le territoire de l’Afrique équatoriale française, entre Gabon et Congo. Tour à tour commis dans différentes administrations financières, forestières, et judiciaires entre Libreville, Moanda, Dolisie, Brazzaville, Djambala etc.  À la veille de l’indépendance du pays, il avait parfait ses études en France à l’école des hauts cadres d’Outre-mer. Il détenait des diplômes utiles à l’avenir de son pays. Il fut de 1961 à 1962 le directeur de cabinet du président Fulbert Youlou. Les trois dernières années de sa vie, il arpentait les marches du Palais de justice comme premier président de la Cour suprême.

Candidat à l’élection présidentielle indirecte, scrutin du 8 décembre 1963, qui devait légitimer le nouveau président de la République après la transition post-révolutionnaire, M. Pouabou fut intimidé et menacé de mort par les soutiens de la candidature de M. Alphonse Massamba-Débat. Sa ténacité à persister dans son choix fut étouffée et sa candidature fut sabotée alors qu’il disposait de réelles chances de culbuter son adversaire. Il devait un jour payer de sa vie cet affront fait à son rival qui n’était alors autre que le futur M. Massamba-Débat.

Lin Lazare Matsocota était né en 1931 à Brazzaville, originaire du village Bimé sur la route de Mont Barnier. Il était le fils de dame Kilolo, la sœur utérine du père de l’abbé Fulbert Youlou. D’une intelligence flamboyante, Matsocota avait le don de la contradiction depuis sa tendre enfance. Il fit dans ce sens, un choix judicieux dans ses études en marchant sur les glorieux pas de l’orateur et avocat romain de l’antiquité Marcus Tullius Cicero et mérita de ses admirateurs l’auguste appellation de « Ciceron congolais ». L’avocat Matsocota était très redouté de ses collègues par la complexité de son art oratoire. Il introduisit au barreau de Paris une technique judiciaire qui fit recette et dont le célèbre avocat international Me Vergès s’en servira. Militant panafricain anticolonialiste, M. Lazare Matsocota fut aussi un des leaders de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France. En 1962, il revint au Congo et accueillit favorablement le changement révolutionnaire du 15 août 1963 en dépit de sa proximité familiale avec le président Fulbert Youlou. Dans le cabinet post-révolutionnaire formé par M Massamba-Débat, il avait décliné l’offre de diriger le ministère de la Justice si, celui-ci n’était pas couplé à celui de l’Intérieur. Il se contentera du strapontin de procureur général près la Cour suprême pour défendre les intérêts de l’Etat congolais. Membre de l’élite révolutionnaire appelé « Groupe de Mpila » qui se réunissait à Mpila, au siège de la Compagnie horlogère du Congo (appelée Montre CHOC) propriété de l’industriel Antoine Maboungou-Mbimba, M. Lazare Matsocota était épié et regardé de travers par les jaloux de son talent. Des membres de ce cercle conspireront contre lui.   Son exigence de coupler les portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice avait été perçue comme une aspiration à la dictature. C’est, du moins, ce que nous confiera un jour, en 2010, M. Claude Ernest Ndalla, un des protagonistes du Groupe de Mpila qui avait participé à cette conspiration. Avant la nuit fatidique, M Matsocota s’était inquiété pour sa sécurité. Son épouse Marcelline témoignera qu’il lui avait confié : « je dois partir car on me craint trop, cela peut être dangereux ». Il ne put partir. Condamné à mort par ses camarades du Groupe de Mpila à son insu, l’unique voyage qu’il fit fut celui de Kintélé-village vers la descente du fleuve sous la menace des armes des tueurs Mabouaka, Kouvoua Castro et leurs sbires. 

Anselme Massoèmé était originaire du Niari, membre de la communauté des Kougnis. Il porta un moment la robe sacerdotale et voulait prospérer dans les ordres de l’Eglise catholique. D’un tempérament nationaliste, il répondit à l’appel du mouvement pour un renouveau national impulsé par les slogans révolutionnaires qui accompagnèrent la chute de l’abbé Fulbert Youlou. Il se défroqua volontairement et rejoignit la vie civile. Nommé directeur de l’Agence congolaise d’information, il devait servir de compagnon d’infortune à Lazare Matsocota dans la nuit du 15 au 16 février 1965. Mais, pourquoi avoir liquidé cet homme qui apparemment ne menaçait ni le régime ni aucun membre de sa nomenclature ? Imperturbable, M. Ndalla Graille dira qu’à « cette époque, rien ne pouvait se décider sans la vallée du Niari !»

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra