Les Dépêches de Brazzaville




Evocation : la piste des caravanes : de Loango à Ntand’la-Pool


Elie Ngandziami, aujourd’hui disparu, instituteur dans les années 50 et 60 dans le Kouilou fut un passeur d’histoire dans le sens exact de cette expression. Collaborateur à la revue « Liaison », organe des intellectuels de cette époque, il rapporta des récits de notre passé d’asservis qu’on ne pourra lire dans aucun livre scolaire selon sa propre expression.

 En effet, peu d’entre nous se sont posés la question de savoir par quelle voie, les bateaux à vapeur débarqués sur la côte atlantique au début de la colonisation se retrouvaient sur nos cours d’eau intérieurs qui n’étaient pas reliés à l’océan. L’article d’Elie Ngandziami « de Loango à Tandala par la piste des caravanes » qui fit sensation à son apparition nous révèle le martyre de ceux qui portèrent des lourdes charges de la côte au fleuve Congo. Ses contemporains nés pour la plupart au-début du 20ème siècle savaient pourtant à quoi s’en tenir lorsqu’il s’agissait du martyre des porteurs sur toutes les pistes du territoire de la colonie. Le mérite revint à Ngandziami de fixer définitivement ce martyre pour les générations futures. Le cas des Loangos de la côte Atlantique est symptomatique de la double peine des riverains de l’Atlantique. Au temps de la Grande tribulation vers les Amériques, ils furent transplantés en masse. Quand l’asservissement devint local, ils servirent de bête de somme comme porteurs vers des contrées lointaines à l’intérieur des terres, d’où plusieurs ne revirent plus la contrée natale. Les Loangos, c’est-à-dire les Vilis et le Yombés du Kouilou ont laissé des traces sur le territoire actuel du Congo comme au Centrafrique. A Tsambitso, près de la ville d’Oyo, où les entraîna Mgr Prosper Augouard à la fin du 19ème siècle, le port des Loangos, « ibongo la Loangos » est un vestige témoin de leur passage.

Les passages que nous publions sont tirés du texte paru dans « Le livre d’or du Centenaire de Brazzaville » en 1980.

« -Oui, jeune homme, tu as raison de demander de quelles souffrances je fais allusion.

« Aucun livre de ta classe ne te dira ce que nous, les vieux de la côte de l’Océan Atlantique, avions enduré lorsque les Blancs ont commencé à venir ici...

« Votre Brazzaville d’aujourd’hui, (..), était pour nous, à cette époque déjà lointaine, ce que nous appelions « Tandala-le-Pool ». Ce nom était plein de détresse pour les gens de Loango, car il signifiait : recrutement des jeunes gens valides, séparation des parents, transport de lourdes charges, longues marches à travers des contrées étrangères, retour incertain... On nous appelait alors « porteurs », « caravanes ».

« En 1891, une mission française débarquait à Loango. Tout aussitôt commença le recrutement, et ton vieux Koubedika d’aujourd’hui fut parmi les premiers recrutés.

« Un petit bateau à vapeur fut démonté. Chacun de nous eut « sa part ». Et, chargés qui d’une pale d’hélice, qui d’une pièce de l’étrave, qui d’une bielle, d’une assiette de boulons, de rivets, d’un vilebrequin, d’un « moutété » contenant du manioc et du poisson salé pour notre entretien, nous nous mettons en route. Adieu parents, femmes, enfants ! Adieu Loango !...

« Sous la charge, le cou tendu, et la tête servant d’amortisseur, un porteur derrière l’autre, tout le monde se met en marche. Vu de loin, nous ressemblons à un gros serpent qui grimpe une montagne ou qui en descend une pente, un serpent qui pénètre dans la forêt ou traverse la savane, sous un soleil implacable ou sous une pluie battante.

« Derrière nous suit le Blanc, têtu, autoritaire, taciturne...

(...)

« Interminable, épuisante, hallucinante, la bonne « piste de caravanes » semble une corde qui nous tire sans résistance. Montagnes sur montagnes sont gravies et descendues ; vallées, cours d’eau, savanes aux herbes tranchantes, à l’atmosphère étouffante, sont franchies. Grande, ombreuse, terrifiante, l’hostile forêt du Mayombe nous happe et, une fois sous sa voûte, nous ne cessons de recevoir des pluies diluviennes. Dans la pénombre du sous-bois, nous glissons sur un sol fangeux et copieusement détrempé ; nous trébuchons contre d’énormes troncs couchés par l’ouragan. A tout moment, il faut déposer nos charges pour dégager un camarade enlisé, remettre à tel gisant au sol sa charge sur la tête ou sur l’épaule. Malheur à qui se laisse terrasser par la maladie : nous l’abandonnons purement et simplement. Sa charge est répartie entre nous et la route se poursuit...

« A Loulombo- l’actuel gare CFCO de Chavannes- tout le monde fait halte pour attendre les retardataires. Après, en route !

« Trente, quarante, parfois soixante jours se passent ainsi à marcher, avant d’atteindre le point final de notre destination : Tandala-le-Pool.

« Ce jour-là, quelle émotion ! Les charges descendent de nos têtes. Bien que déchargés, les cous demeurent raides, les têtes comme aplaties ; nos tempes battent et nous sentons comme si nous avions brusquement perdu la moitié du poids de notre corps. Nous titubons en marchant et beaucoup, ivres de fatigue demeurent étendus à côté de leurs charges respectives. Tout le monde aspire au repos : on a si longtemps marché sans atteindre le point final qu’on est pas encore convaincu d’être arrivé. Et, lorsqu’on est convaincu de se trouver à Tandala-le-Pool, à ce moment les yeux s’emplissent de larmes à la pensée de notre cher coin natal de Loango, perdu dans le lointain horizon. Beaucoup n’y retourneront plus. ( ...) »

 

Dans la mémoire collective des peuples du sud-ouest du Congo, depuis le département de la Bouenza jusqu’à l’Atlantique, la ville de Brazzaville est dénommée Tandala. Ce qui dans leur subconscient évoque les souffrances endurées par leurs ancêtres sous le portage. Le terme « Tandala » est une déformation du nom Stanley qui dans les dialectes loango était prononcé « ntand’l » ou « ntand’la ». La tonification de l’accent via le français a fini par produire « Tandala ». Ainsi la destination « Stanley-Pool » devint pour les Loangos « Ntand’la-Pool ».

Le mot bantou « Koubedika » signifie le porteur ou plus exactement « celui qui tire un poids », Selon le contexte dialectal, il change de forme tout en gardant sa racine « benda ».

 

 

François-Ikkya Onday Akiera