Les Dépêches de Brazzaville



Gestion des rivières : la société civile dit non au projet Transaqua


La Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et de l’action publique (Corap) s'est réunie, le 14 mars à Kinshasa, pour analyser le contexte sur le niveau de la gestion des rivières en RDC, en s'appuyant sur les analyses des experts indépendants nationaux.  Ces organisations œuvrant dans le secteur de la gouvernance des ressources naturelles et des droits socio-économiques et culturels du pays ont démontré que le projet Transaqua comporte plusieurs conséquences. Il s’agit, selon elles, des menaces sur la sécurité et la paix, qui pourront entraver même le processus électoral. Des menaces économiques avec impacts négatifs, notamment la pauvreté et la faim, ont-elles signifié, peuvent surgir dans la région, parce que la majorité des communautés ne vit que de la pêche et de l’agriculture pratiquées le long de ces cours d’eau. Les ONG ont également relevé la violation des normes internationales et nationales, dont le principe de Dublin n°25, la Constitution dans son article 566 ainsi que les articles 517 et 538 de la loi n°15/026 du 31 décembre 2015 relative à l’eau, etc., sans oublier la perturbation du système aquatique.

 La Corap a tenu sa réunion à l’occasion de la 21e  Journée internationale d’actions pour les rivières, rappelant que la RDC était un pays potentiellement riche en ce qui concerne les ressources naturelles. Malheureusement, a-t-elle regretté, cette richesse se retrouve menacée par la pollution à travers divers déchets ; la disparition de certaines espèces aquatiques et riverains ; la diminution de débits des eaux due au changement climatique ; l’urbanisation inadaptée qui menace la disparition des rivières ; l’absence d’une politique sur la gestion durable des rivières, etc.

Risque d'ensablement du fleuve Congo

Pour ces ONG,  l’ouverture du Bassin du Congo au lac Tchad va entraîner une perturbation des écosystèmes aquatiques, notamment sur le plan zoo-géographique. « Le projet Transaqua va perturber les deux grandes régions ichtyo-géographiques africaines très différentes l’une de l’autre, à savoir la région ichtyo-géographique nilo soudanaise (à laquelle appartient le bassin du Lac Tchad et la région ichtyo géographique du Congo », ont noté ces organisations.

La réalisation de ce canal engendrerait également, selon la société civile, de nombreux problèmes, notamment l’hybridation des espèces animales aquatiques, la compétition entre espèces avec toutes ses conséquences, la disparition de certains maillons des chaînes alimentaires non adaptées aux nouvelles conditions de vie créées par la jonction des eaux des deux régions, la disparition de certains habitats, l’apparition, de part et d’autre, de nouvelles pathologies jadis limitées à l’une ou l’autre région, etc. Le gigantesque canal de prise d’eau va aussi constituer une barrière infranchissable pour les espèces terrestres, qui fera que certains biefs des rivières interceptées situés en aval de la zone de capture verront disparaître leurs chutes et/ou leurs zones marécageuses ainsi que la faune et la flore qu’elles hébergent  et servira, en outre, de canal d’importation des pathologies humaines. « Ce qui, à long terme, va aggraver les problèmes de santé publique en RDC. », ont prévenu les ONG. En outre, elles ont fait remarquer que la diminution importante de débit, ajoutée à la diminution parfois drastique des précipitations observées au cours de certaines années dans l’ensemble du bassin, va entraîner la diminution de la vitesse de l’eau et provoquer l’ensablement du lit du fleuve Congo, plus particulièrement au niveau des barrages hydroélectriques Mobayi Mbongo et Inga 1 et 2.

La société civile fait observer à la communauté nationale et internationale qu’elle constate, avec regret, que la RDC ne participe pas dans les discussions sur l’avenir du lac Tchad, malgré son statut de membre observateur de la Commission du bassin du lac Tchad (CLBT). Elle fustige, par ailleurs, le silence observé dans le chef des autorités du pays en rapport avec ce projet et fait constater que c’était un particulier qui prend officiellement la position de la RDC dans certaines rencontres, en lieu et place du gouvernement congolais.

Le chef de l'Etat appelé à garantir la souveraineté nationale

Face à ces réalités et s’appuyant sur les dispositions des articles 56 de la Constitution et de l’article 53 de la loi loi n° 15/026 du 31 décembre 2015 relative à l’eau, la société civile congolaise signifie qu’elle n’adhère pas à ce projet, tant que le peuple congolais n’est pas consulté. Elle recommande donc au président de la République de prendre les dispositions qui s’imposent pour garantir la sécurité et la souveraineté nationale, en tant que garant de la nation.  Au gouvernement, la société civile rappelle que si les autres États étaient représentés par leurs chefs ou ministres de tutelle, la RDC serait représentée par un certain François Kalwele, partenaire du ministère de l’Environnement et du développement durable. Elle attend donc du gouvernement congolais de définir clairement sa position en se référant à la Constitution et à la loi n° 15/026 du 31 décembre 2015 relative à l’eau, d’éclairer la population sur son statut de membre observateur de la CBLT et d'expliquer clairement au peuple congolais sa non-participation à des rencontres qui touchent la souveraineté du pays.

Au parlement, la société civile attend d’insérer à l’ordre du jour de la session de mars la question du projet Transaqua ; d’interpeller le Premier ministre par une question orale avec débat sur ce projet et la délégation du pouvoir représentatif de la nation à des personnalités n’ayant pas qualité. Alors que la Communauté internationale est appelée à respecter la souveraineté de l’État congolais dans le traitement de ce projet, la population est exhortée à être vigilante, à rester debout pour protéger sa mère nourricière qui est le bassin du fleuve Congo et à ne céder à aucune menace.

La société civile rappelle, par ailleurs, que le développement et la gestion des eaux devraient être fondés sur une approche participative, impliquant les usagers, les planificateurs et les décideurs à tous les niveaux. Selon cette logique, tout acte, tout accord, toute convention, tout arrangement ou tout autre fait, qui a pour conséquence de priver la nation, les personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens d’existence tirés de leurs ressources ou de leurs richesses naturelles, sans préjudice des dispositions internationales sur les crimes économiques, est érigé en infraction de pillage punie par la loi.

 


Lucien Dianzenza