Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Gauz : « Un roman ne s’écrit pas dans l’objectif d’obtenir un prix littéraire »


Gauz lisant un extrait de son roman Camarade Papa à l’atelier (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : S’il aurait fallu vous présenter au Kinois visiteur de la Fête du livre qui n’a pas encore lu Camarade Papa ou Debout-payé, que lui diriez-vous ?

Gauz  : En tant qu’Ivoirien, il faut que le Kinois sache que je suis le plus fort du monde. Je suis le plus grand écrivain de la terre et du système solaire de tous les temps. Et donc, il a tout intérêt à prendre mon livre s’il veut savoir qui est Pelé, le plus fort du monde. C’est comme cela que je veux me présenter au Kinois.

L.C.K. : Aviez-vous une pensée précise en tête venant à Kinshasa ?

Gauz  : Quel Ivoirien n’a pas une idée en tête quand il vient à Kinshasa ? La ville d’Abidjan a évolué en se mirant dans Kinshasa. Et moi, je suis un pur produit abidjanais, j’avais donc forcément plein d’idées de ce qu’était cette ville tentaculaire. Que des aprioris positifs malgré le temps, la pauvreté et la dureté de la vie. Moi, je me sens vachement bien ici, voilà.

L.C.K. : Dans la peau d’un écrivain comme vous, comment Kinshasa vous inspire-t-elle  ?

Gauz  : L’on a l’impression qu’un écrivain doit toujours être inspiré par quelque chose. En fait, ce n’est pas si direct que cela. Chez un écrivain, l’inspiration est diffuse. C’est souvent la somme de plusieurs choses qui donne l’inspiration. Tout ce que tu vis te marque pour écrire quelque chose, tout, absolument tout ! Donc que ce soit dans la chaude et truculente Kinshasa ou dans la glaciale et froide Oslo, l’on tire toujours une expérience de quelque chose. Il n’y a donc pas, moi, de toute façon, je ne crois pas en l’inspiration même. Cela voudrait dire qu’il existe une sorte « d’inspirationosphère » quelque part où se promènent les idées qui décident de façon aléatoire de tomber sur quelqu’un qui devient l’élu. Il est inspiré, il est l’auteur et il écrit. Moi, je pense que c’est beaucoup plus diffus que cela. Une écriture ça se bâtit, ça se travaille, un écrivain, ça bosse ! Vous pouvez nous voir en train de boire des bières, fumer des cigarettes, se promener dans le monde mais n’empêche qu’un écrivain ça bosse énormément. Donc, moi je crois plus au travail qu’en l’inspiration. C’est ton travail, la somme de ton travail acharné que l’on appelle finalement inspiration.    

L.C.K. : De votre point de vue, qui est un écrivain ? Comment le définiriez-vous ?

Gauz  : Mais pourquoi veut-on définir un écrivain ? Il y a autant de définitions du mot écrivain qu’il y a d’écrivains sur la terre. Et même, il y a des gens qui n’écrivent pas qui répondent à la définition que l’on pourrait donner du mot écrivain. Alors pourquoi chercher à définir un écrivain ? C’est une question qui me dépasse, je ne peux y répondre. De toute façon, deux romans ne se ressemblent pas. Chaque roman est singulier et deux romans du même auteur ne se ressemblent pas. Prenons mon premier roman Debout-payé, comparé à mon deuxième, Camarade Papa, c’est comme si il avait été écrit sur une autre planète.

L.C.K. : Pourquoi avoir choisi le roman plutôt qu’un autre genre littéraire ?

Gauz  : Quand j’avais écrit mon premier roman, je me souviens qu’un lecteur d’Actes Sud à qui j’avais envoyé le manuscrit m’avait répondu : « Vos prises de notes sont bien, maintenant écrivez un roman ! » Pourtant, je lui avais envoyé un roman à la base. Et alors, j’ai répondu à ce gars : « Petit bâtard !, ce n’est pas un roman que je t’ai envoyé, c’est une nouvelle littérature ! » Moi, je considère que le roman est un pan de la littérature mais la littérature est une et globale. Dans un roman, tu peux être lyrique, poétique, tu peux faire un essai. Tu peux tout y faire. Pour ma part, je ne pense pas obéir à une classification précise. Mais effectivement je marque toujours roman sur les livres que j’écris de sorte qu’il y a une case où l’on peut les trouver. Mais, à chaque fois, je pense que c’est un peu plus qu’un roman et j’en suis fier d’ailleurs.

L.C.K. : Existe-t-il une recette, une marche à suivre pour qu’un roman remporte un prix littéraire  ?

Gauz  : Un roman ne s’écrit pas dans l’objectif d’obtenir un prix littéraire. Il faut se l’enlever de la tête. Un prix littéraire, c’est super compliqué. C’est un groupe de gens qui en décident. Mais, au juste, c’est quoi un prix littéraire ? Des gens qui jugent un ensemble de romans selon des critères qu’ils se donnent eux-mêmes. Ils jugent selon leur ressenti qui n’est pas forcément lié au roman. Il n’y a pas une appréciation universelle d’un roman. S’il y avait des recettes, cela se saurait. Et puis, en France par exemple, les prix littéraires sont devenus des institutions tellement fortes qu’il existe effectivement des romans qui sont destinés à des prix. Les grands éditeurs le font. Gallimard, Actes Sud, L’Olivier, Le Seuil, etc., mettent des bêtes de course pour la course aux prix chaque année. C’est de l’ordre du commercial si le prix littéraire met en lumière un roman, mais ce n’est pas cela l’objectif d’un roman. Il y en a qui n’ont pas eu de prix mais dont la pérennité est acquise. Prenons Things Fall Apart (Le monde s’effondre), c’est plus qu’un classique ! Mais il n’a jamais obtenu de prix. Il y a plein de romans dans ce cas-là. L’objectif d’un roman, ce n’est pas du tout d’obtenir un prix littéraire.Gauz expliquant le plan du roman Camarade Papa lors de l’atelier (Adiac)

Propos recueillis par


Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Gauz lisant un extrait de son roman Camarade Papa à l’atelier (Adiac) Photo 2 : Gauz expliquant le plan du roman Camarade Papa lors de l’atelier (Adiac)