Les Dépêches de Brazzaville



Interview. Maïka Munan : « J’étais dans le cercle le plus restreint du Seigneur Ley »


Les Dépêches de Brazzaville : Que retenez-vous de particulier de votre collaboration avec feu Tabu Ley ?

Maïka Munan : La particularité avec moi c’est que l’on avait souvent été ensemble. J’étais ce que l’on appelle aujourd’hui son séquenceur car à l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur. Je jouais pendant des heures et des heures de la guitare pour qu'il  compose. Je puis dire que j’étais dans le cercle le plus restreint du Seigneur et cela étant, j’ai appris beaucoup de choses à ses côtés. Il fut le premier à me faire entrer dans un studio d’enregistrement. Et, dans le groupe, j’étais finalement le chef d’orchestre occulte, car tout ce qui se faisait passait, mieux commençait par moi. Les premiers arrangements étaient faits avant que les autres ne viennent. À deux, nous avions déjà concocté toute la matière. Quand j’ai quitté l’Afrisa et je me suis installé à Paris, il venait souvent me voir pour la réalisation de ses albums. Ensemble, nous avons réalisé Exil Ley, Feux d’artifice où il a chanté en duo avec Pépé Kallé. Et, finalement, son dernier album, Tempelo, on l’a fait presque à deux.

LDB : Quel est le souvenir le plus vif que vous gardez de Rochereau ?

MM  : J’ai partagé beaucoup de choses avec Seigneur Ley, il avait beaucoup d’estime pour moi. Et, malade devant ses enfants, il m’a tenu une fois la main et m’a dit : « Maïka, Nzambe asi a précédé yo, sala mosala nayo malamu comme tu l’as appris auprès de moi ». À l’occasion, nous avons même pris une photo où il me tenait la main comme s’il me disait, vas-y.

LDB : Quel serait le best of de tous les albums de l’Afrisa ?

MM  : De lui, on ne peut pas dire cela. De Tabu Ley, il est impossible de dire telle œuvre ou tel album est le meilleur. L’on considère son œuvre dans l’ensemble qui est homogène car il y a une constance qui s’y dégage. Les gens aiment et ne se demandent même pas si une chanson de Rochereau est belle. L’album Tempelo date de 2003 mais à écouter la chanson Congo lelo, l’on a l’impression qu’elle est d’hier. Si tu chantes à quelqu’un Kaful Mayay dans la rue même ceux qui sont nés des décennies plus tard la connaissent. Cet homme a cette particularité d’avoir créé des œuvres qui traversent le temps.

LDB : Quel est votre coup de cœur, ce titre pour lequel votre investissement était le plus grand ?

MM  : J’ai toujours dit que je laisse aux autres ce choix. J’ai une longue carrière et sur tout ce parcours, il s’est passé tellement de choses et la seule constance c’est que nous avons fait beaucoup de bonnes choses, il y a eu certaines de ratées mais le gros est bien. Personne ne peux nous le contester. Et cela s’applique à tout ce que j’ai fait avec Tabu Ley que ce soient les Mpeve ya longo, Maze, Mbanda monument, etc. Je ne suis pas intéressé par un seul titre, j’ai comme coup de cœur l’ensemble de son œuvre.

LDB : Vous est-il arrivé de faire des reprises de ses chansons  ?

MM  : J’ai fait l’album Congo masters qui ne comportait pas essentiellement des reprises des œuvres de Rochereau mais dont la plupart étaient de la tendance de l’aile gauche de la musique congolaise. J’y ai repris de cette façon certains de ses titres que j’ai réarrangés. Par ailleurs, je l’ai invité une ou deux fois dans mes albums.

LDB : De Tabu Ley l’on dit que c’était un artiste de génie, partagez-vous cet avis  ?

MM  : C’est vrai que lorsque quelqu’un meure, cela devient une sorte de ritournelle. Heureusement qu’avec notre métier, nous avons cette chance de laisser des traces derrière nous et qui en disent long. Donc aujourd’hui faire des éloges à Tabu Ley ne vient que renforcer le fait que son œuvre parle à sa place. Il a été décoré dans plusieurs nations du monde que nous avons sillonné. Quel est ce pays d’Afrique où nous n’avons pas été applaudi ? Ici, il n’a été décoré que l’an dernier mais Tabu Ley est dignitaire en Centre-Afrique, au Libéria, au Sénégal, en côte d’Ivoire, que sais-je encore ?

LDB : Y a-t-il une raison à cet accueil chaleureux réservé à sa musique  ?

MM  : C’est le travail. Celui qui se tourne les pouces pensant que tout est acquis obtiendra certes un résultat mais celui qui passe des nuits blanches à peaufiner son travail en obtient assurément de meilleurs même à titre posthume. Ne pensez pas que l’on vienne avec sa belle frimousse pour dire aux gens d’accepter sa musique. Cela ne marche pas comme ça, il faut une certaine communion avec le public qui sait par apprécier la tâche admirablement abattue.

LDB : Que diriez-vous de Pegguy Tabu en qui d’aucuns voient un successeur valable de son père  ?

MM  : Moi, je ne partage pas cette vision là. Pegguy Tabu n’est pas Tabu Ley mais son fils. Il a son cheminement et doit faire son parcours. Je le lui ai dit tout récemment : « Tu dois tracer ton chemin, mouiller ta chemise pour devenir aussi important. Lui, il n'est pas devenu comme cela par un coup de baguette magique ». Cela comporte des avantages et des désavantages d’être le fils de, parce que l’on peut exiger de toi de devenir son pareil. Il faut assumer le fait d’être le fils et savoir aussi rester soi-même.

Propos recueillis par Nioni Masela


Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Maïka Munan