Les Dépêches de Brazzaville



" Le dernier poumon de la terre": un film bâti sur les témoignages des riverains du fleuve Congo


En une cinquantaine de minutes, tout est dit dans ce film pédagogique et convainquant qui démarre dans une salle de l’Université Marien-Ngouabi où Suspense Averti Ifo, enseignant chercheur en écologie, édifie ses étudiant sur les gaz à effet de serre. « L’Afrique ne participe que pour 4% des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère mais elle est le premier continent qui en subit les effets des changements climatiques », rappelle l’enseignant.

Avec des conséquences multiples et méconnues dans la vie des Congolais. « Le soleil excessivement fort influe sur le fleuve qui devient plus chaud, et influe sur le poisson obligé de chercher plus loin dans les profondeurs », témoigne Romuald Ekola de la coopérative des pêcheurs de Mpila, sur les rives du fleuve Congo. « Les herbes du fleuve sont les cages des ressources de l’eau du poisson. On enseigne à l’enfant de ne pas priver le poisson de sa cage donc de ne pas couper l’herbe, les roseaux, qui permettent aux poissons de se développer », conseille-t-il.

Sagesse Chakaka, également membre de la coopérative, en donne l’explication : « L’herbe produit de l’oxygène, si vous détruisez cet écosystème c’est le chaos ! », mais tempère aussi le propos : « En Afrique, beaucoup de gens ne connaissent pas le mot écologie. Ils ne savent pas ce que cela veut dire. Il faut apprendre ce qu’est l’écosystème ». Et relayer les messages, expliquer les bonnes pratiques tout en respectant les usages. C’est ainsi que le documentaire pose aussi ses caméras au bord du fleuve et filme ces femmes lavant leur linge dans le fleuve ou travaillant la terre. Alertées, sensibilisées, elles changeront leurs habitudes.

Le Bassin du Congo, poumon de la planète

On sait aujourd’hui qu’aucun écosystème terrestre n’échappe aux effets des changements climatiques. Le Bassin du Congo, constitué de fleuves, de forêts et de tourbières, en devient la clé. A ce sujet, Jean Dingua, hydrologue de l’Université Marien- Ngouabi qui a travaillé sur ce programme de recherche, explique le principe de la tourbière : un substrat marécageux, immense marécage, mélange de boues et d’eau, dans lesquelles ne vit que la population autochtone... « La tourbe c’est cette accumulation de vieilles feuilles qui se décomposent lentement du fait de l’humidité de la forêt », indique-t-il.

Sur plus de 145 000 km2, d’une superficie dépassant celle de l’Angleterre, cette tourbière tropicale, la plus grande au monde, s’est formée il y a dix mille ans et stocke trente milliards de tonnes de carbone… « Une véritable bombe à retardement, un trésor empoisonné à protéger sous peine d’accélérer le changement climatique », prévient le chercheur.

Un propos relayé par Simon Lewis, enseignant-chercheur de l’université de Leeds, qui a mené cette mission avec l’Université Marien-Ngouabi : « Nous les avons trouvées mais nous ne savons pas comment elles fonctionnent, pourquoi elles se sont formées de cette manière, ce qui se passera dans le futur, quel sera l’impact sur le changement climatique et ce qu’il se passera si quelqu’un les draine ».

Séquestrer le monoxyde de carbone

Séquestrer le monoxyde de carbone de l’atmosphère est un enjeu mondial, et ces tourbières permettent de le faire. Là est le message clé de ce film. D’où la nécessité de ne pas aggraver le problème en les détruisant. Autant dire que la région centrale du Congo peut jouer un rôle essentiel dans ce processus.

« Tout cela veut dire que la contribution de l’Afrique à la lutte contre le changement climatique est énorme. Les études ont montré que ces écosystèmes sont intacts, cela est aussi lié au fait que nos populations dégradent ou déforestent peu », insiste Jean Dinga, en dressant un parallèle explicite : « Dans un glacier, le carbone est sécrété par les couches de glace. Si cette glace fond, le carbone se libère. Le principe est le même au niveau des tourbières. Si l’on détruit la végétation autour des tourbières, on libérera le carbone secrété dans cette zone. Et si tout s’échappe dans le pire scénario, ce sera l’équivalent de trois ans d’émissions mondiale de CO2, ou en d’autres termes, vingt ans d’émissions carbone des Etats-Unis ».

Un propos alarmiste relayé par Simon Lewis : « Nous savons qu’il y a trente milliards de tonnes de carbone en Afrique centrale qui doivent rester dans le sol, c’est le travail de tout le monde mais les personnes clés sont les locaux qui vivent sur place. La tourbière est intacte, parce qu’ils l’ont utilisé de façon durable. Ce sont eux qui devraient avoir le plus de poids concernant l’avenir de cette région ». 

Le Congo a préservé ses écosystèmes. Maintenant, c’est à la communauté internationale d’aider à préserver ce capital.


Marie-Alfred Ngoma et Bénédicte de Capèle