Les Dépêches de Brazzaville



L’Italie secouée par « le cas » Balotelli


Il n’y a pas grand monde s’intéressant au football ou à la politique (quand ce ne sont pas les mêmes) qui ne se soit pas senti l’obligation d’ajouter un commentaire peiné, ulcéré ou enragé dans les médias à propos de l’enfant terrible du sport italien, Mario Balotelli. Enfant terrible, parce que son talent est à la hauteur de l’agacement qu’il provoque chez beaucoup. Surtout ceux, qui ne comprennant pas que, comme Pelé en son temps, le jeune attaquant du Milan AC est la cible des attaques, insultes et provocations dès qu’il a le ballon au pied, font peu d’effort pour trouver l’explication à ses très nombreuses incartades.

Or mardi soir à Natal, au Brésil, Mario Balotelli a donné du grain à moudre à ceux qui lui en veulent mais ne peuvent lui reprocher (ouvertement) d’avoir des origines ghanéennes ; d’être un enfant abandonné et recueilli par la famille Balotelli qui lui a donné son nom ; d’avoir peiné pour se voir reconnaître sa nationalité ; d’être comme une pièce rapportée. Ou, plus simplement, d’être noir. Politiques et sportifs du dimanche, qui ne se gênent pas pour proclamer qu’il « n’y a jamais eu d’animaux, ni de Noirs dans la sélection italienne » ont pourtant l’insulte prompte et franchissent le pas de temps en temps. Contre Balotelli ; contre Cécile Kyenge Kashetu, l’Italo-congolaise ex-ministre italienne de l’Intégration.

Lorsque les choses vont bien sur le terrain; c’est-à-dire lorsque Mario Balotelli sort son petit coup de patte de génie qui fait la différence dans un match (comme par exemple contre la sélection anglaise, le 15 juin  à Manaus), la presse et l’opinion ne sont que louanges pour le « Grand Mario ». Mais cette fois-ci, le charme semble avoir été rompu. Et d’abord par les joueurs eux-mêmes. Sans le citer directement, Gianluigi Bufon, le gardien et capitaine de la sélection italienne, a adressé un reproche indirect à Balotelli après l’élimination mardi soir.

« Sur le terrain, il faut ‘faire’, le ‘pourrait faire’ ou le ‘il fera peut-être’ ne suffisent pas », avait-il dit en s’en prenant aux « jeunes » accusés de ne pas en avoir fait autant que la vieille garde constituée de Pirlo, De Rossi, Chiellini et Barzagli en plus de Bufon lui-même. De Rossi a d’ailleurs renchéri en souscrivant à cette analyse qui les exonère de toute responsabilité, renvoyée totalement sur les jeunots, avec le premier d’entre eux en tête : Mario Balotelli. « C'est vrai que nous incarnons l'état d'esprit juste, et il est aussi vrai que nous donnons toujours tout », a affirmé De Rossi.

Climat lourd de sous-entendus

Ces paroles plus des propos carrément racistes ayant fleuri sur les réseaux sociaux ont poussé Balotelli à bout. Parlant de lui à la troisième personne, ce qui n’est pas forcément un trait d’humilité, le joueur a renvoyé tout le monde à sa responsabilité. À sa manière ! « Mario Balotelli a la conscience tranquille, fier d'avoir tout donné pour son pays (…) Peut-être que je ne suis pas un Italien, comme vous dites, mais les Africains ne lâcheraient jamais un de leurs frères. En cela, nous, les ‘Nègres’, comme vous nous appelez, nous sommes des années lumières devant vous. Honte à vous ! »

C’est dans une atmosphère lourde que la sélection nationale d’Italie est rentrée à Rome (via Milan) jeudi. Dans une atmosphère lourde où la presse y allait, qui de son analyse, qui d’un diagnostic inexistant il y a seulement dix jours. « Le problème de Mario Balotelli est celui de toute une jeunesse pourrie par l’argent, arrogante à l’excès », écrivait tel journal. « Que Balotelli mérite son titre de citoyen ou qu’il se taise à jamais », indiquait un responsable de la Ligue du Nord, parti xénophobe. Quelques indiscrétions sont également parues dans les journaux, sur ce Mario méconnaissable sur le terrain, mardi soir contre l’Uruguay.

Le coach Prandelli lui aurait intimé l’ordre de cesser de murmurer entre ses dents, sinon il serait changé dans les dix minutes. Cela aurait eu lieu seulement au tout début de ce match qui devait décider de l’élimination de l’Italie. De fait, Cesare Prandelli qui devait démissionner quelques minutes après la fin du match, n’a pas été parmi ceux qui se sont particulièrement distingués pour défendre Super Mario. Même si, c’est vrai, l’entraîneur a reconnu que c’était l’ensemble du football italien qui était à réformer.

D’où une foule d’hypothèses dans la presse de jeudi : qui va prendre le poste d’entraîneur national ? Qui va prendre le poste d’attaquant principal de Mario Balotelli, « un joueur qui a démontré qu’au football les pieds comptent, mais la tête aussi », comme titrait un autre journal ? Pourtant les défenseurs de Mario Balotelli existent. À commencer par Adriano Galliani, l’administrateur délégué du Milan AC qui a confirmé que l’attaquant réintégrerait sa place dans l’équipe de la capitale économique italienne.

« Je suis orgueilleux d’être le compatriote de Mario Balotelli », a déclaré fièrement sur Twitter Nichi Vendola, président de la région des Pouilles (sud) et leader du mouvement Sinitra, Ecologia e Libertà (Gauche, Écologie et Liberté). Cette tempête repose la question de l’acceptation de la diversité, raciale et culturelle, dans une Italie où cela est une nouveauté. Une dépêche d’agence signalait que, jeudi matin, les journalistes avaient vu Mario Balotelli sortir, « crête haute teinte en blond », de chez le coiffeur. Une affaire de simple teinture ?


Lucien Mpama