Les Dépêches de Brazzaville



Nigeria : la tension monte entre les deux candidats à la présidentielle


« Le général Buhari n’est pas un démocrate. Il ne croit pas en la démocratie. C’est une façade », a affirmé le principal candidat de l’opposition, Atiku Abubakar, lors d’une réunion d’urgence de son parti (PDP, Parti populaire démocratique), réagissant aux déclarations du chef de l’Etat qui avait exhorté, le 18 février, l’armée à être « sans pitié » envers les éventuels fraudeurs.

« Il est choquant de voir un chef d’Etat prononcer des propos pareils en démocratie », a ajouté Atiku Abubakar. « Nous ne l’accepterons pas de la part du général Buhari. Nous avons combattu des dictatures bien plus impitoyables que celle-ci », a-t-il assuré.

Lundi, l’APC (le Congrès des progressistes, au pouvoir) a tenu une réunion au cours de laquelle le président Buhari, en lice pour un second mandat, s’est exprimé sans fard : si quelqu’un vole une urne électorale ou utilise des criminels pour perturber le scrutin, « ça sera probablement le dernier acte criminel qu’il commettra ». Une phrase perçue comme un appel à la haine et aux crimes extra-judiciaires, dont l’armée nigériane est souvent accusée.

Le Nigeria a effectué sa transition démocratique en 1999 après des décennies de dictatures militaires. Muhammadu Buhari, alors général, a gouverné le pays une première fois en 1983 après un coup d’Etat, laissant le souvenir d’un dirigeant honnête mais intransigeant et particulièrement dur. C’est notamment sur la promesse de lutter contre la corruption et l’insurrection djihadiste de Boko Haram, les deux fléaux du pays, qu’il avait conquis les électeurs en 2015. Il avait alors marqué l’histoire, devenant le premier candidat de l’opposition à remporter un scrutin dans les urnes, après seize années de pouvoir sans partage du PDP.

Pour le directeur de campagne de ce parti, aujourd’hui dans l’opposition, le parti au pouvoir prépare des fraudes massives, notamment à travers l’inscription « d’un million d’électeurs fantômes » sur les listes électorales ou en ayant infiltré le système informatique de la Commission électorale indépendante (INEC). « Les Nigérians savent très bien que l’INEC est sous contrôle total du gouvernement », a affirmé Uche Secondus.

Une situation sécuritaire fragile

Le report des élections présidentielle, législatives et sénatoriales du 16 au 23 février a marqué un très clair changement de ton entre les deux principaux partis, qui avaient d’abord appelé leurs supporters au calme, avant de s’engager depuis dimanche dans une escalade d’accusations et de propos virulents.

« Les candidats sont en train de chauffer les supporters », regrette Emmanuel Onwubiko, militant des droits de l’Homme basé à Abuja. « Ils doivent modérer leur rhétorique ou cela pourrait conduire à de l’instabilité », a-t-il expliqué. « Les Nigérians ont été très appauvris ces dernières années, ils n’en peuvent plus de voir les politiciens se chamailler, ils ne veulent plus de cette atmosphère ».

Si le pays restait calme le 19 février, avec des Nigérians partagés entre désarroi et résignation, la situation sécuritaire reste très fragile : les tensions ethniques, identitaires et religieuses ont souvent alimenté dans le passé les violences post-électorales.

Le report des élections, décidé quelques heures à peine avant l’ouverture des bureaux de vote, a également un coût pharaonique (jusqu’à deux points du produit intérieur brut, soit neuf milliards de dollars selon certains économistes), pour l’Etat mais aussi pour les cent quatre-vingt-dix millions de Nigérians, qui souffrent déjà d’une économie au ralenti et d’une forte inflation.

La semaine dernière, les candidats à la présidentielle ont signé un « accord de paix » dans lequel ils s’engagent à respecter les résultats du vote : un document qui semble de plus en plus menacé.

 

 


Nestor N'Gampoula et AFP