Les Dépêches de Brazzaville



Présence Africaine : 70 ans au service de la culture


Né en 1910 au Sénégal, Alioune Diop professeur de philosophie a eu l’ingénieuse idée de fonder la maison d’édition Présence Africaine avec le soutien d'intellectuels, écrivains et anthropologues, tels que Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright, Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, Théodore Monod, Georges Balandier ou Michel Leiris, mais aussi Joséphine Baker, James Baldwin, Picasso...

Après sa mort en 1980, Présence Africaine est dirigée par sa veuve, Christiane Mame Yandé Diop, aidée par leur fille Suzanne Diop.

La naissance de la revue s'inscrit dans la mouvance du panafricanisme dont les idées s'expriment depuis le début du XXe siècle, notamment lors de plusieurs congrès, dont celui de Paris en 1919, organisé par Wiliam Edward Burghardt Du Bois dit Web du Bois soutenu par Blaise Diagne.

Les intellectuels sont aussi marqués par le surréalisme et le marxisme. En 1936,  le Front populaire confronte les Africains vivant en France au monde syndical et politique et cette dynamique trouve un écho notamment au Sénégal. Enfin, la liberté retrouvée à l'issue de la Seconde Guerre mondiale soulève désormais avec acuité la question de la souveraineté des peuples et des cultures à l'échelle mondiale, et notamment en Afrique. Petit à petit, des périodiques donnent la parole aux Noirs, tels que La Revue du Monde Noir,  Légitime Défense, L'Étudiant noir ou Tropiques, édité par Aimé Césaire au début des années 1940.

Une revue et une maison d’édition rayonnantes 

Dans le premier numéro, avec un avant-propos d’André Gide, Alioune Diop déclare que « la revue ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie ou politique. Elle veut s’ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (Blancs, Jaunes ou Noirs), susceptibles de nous aider à définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».

La revue rencontre le succès et dès 1949 la maison d'édition du même nom est créée. Le premier titre publié est l’ouvrage controversé du missionnaire belge Placide Tempels (1906-1977), La philosophie bantoue. L’année suivante, en 1950, Alioune Diop accepte d’éditer un manuscrit de Joseph Zobel, refusé par les éditions Albin Michel en raison de l’usage de tournures inspirées du créole dans le texte. C’est le roman La Rue Cases-Nègres, bien accueilli en France et sur le continent africain.

Joseph Zobel y met à profit ses souvenirs d’enfance. Il recourt dans cette œuvre à un duo idéal : l’enfant, qui n’a pas encore une grande expérience du monde, et la grand-mère, expérimentée mais qui tente d’adoucir les angles (lui-même a été en partie élevé par sa grand-mère). Le résultat est un témoignage, très rare à l’époque, sur la communauté noire antillaise.

Pendant les années 1950 et 1960, la revue milite activement en faveur de l’émergence d’une culture africaine indépendante. Véritable moteur intellectuel, elle offre une tribune de choix aux figures montantes du monde littéraire et politique. Les mentalités devancent ainsi les décisions politiques dans l’accession à l’indépendance. En 1951, la revue commandite un court-métrage documentaire, réalisé par Chris Marker et Alain Resnais, Les Statues meurent aussi. Dénonciation des méfaits de la colonisation, le film sort en 1953 et obtient la même année le prix Jean-Vigo, mais il est censuré pendant une dizaine d'années.

En 1956, Présence Africaine réunit dans le grand amphithéâtre Descartes de la Sorbonne le premier Congrès des écrivains et artistes noirs, un événement que l'on a parfois qualifié de « Bandung culturel », en référence à la conférence de Bandung qui s'était tenue en 1955. La Société africaine de culture se constitue à l’issue de ce premier congrès. Dans un Sénégal désormais indépendant, Alioune Diop et son équipe organisent avec Léopold Sédar Senghor le premier Festival mondial des arts nègres à Dakar, inauguré en 1966.

Quant à la revue Présence Africaine, aujourd’hui dirigée par Romuald Fonkoua, professeur de littérature française et comparée à l'université de Strasbourg, elle a célébré son cinquantième anniversaire solennellement lors d’un colloque organisé au siège de l’Unesco à Paris, en décembre 1997.


Bruno Okokana