Les Dépêches de Brazzaville



Publication Bienvenu Kimbembe : « La mondialisation et le développement écrasent certaines civilisations africaines…comme celles des peuples autochtones »


Vous venez de publier un ouvrage sur les peuples autochtones. Quel en est le contenu ?

Bienvenu Kimbembe : Cet ouvrage s'inscrit dans une suite de travaux consacrés aux communautés forestières vivant dans le Nord du Congo-Brazzaville, et notamment aux autochtones. Il constitue pour ces gens la première partie d'un « profil historico-anthropologique » axé sur une approche linguistique. Nous avons essayé de découvrir et de ressusciter ce qui s’était réellement passé dans cette partie du Congo concernant le peuple autochtone avant que les premiers chercheurs occidentaux ne s’y intéressent.

Le Nord Congo compte un grand ensemble autochtone qui se veut être appelé tous (Ba- Aka pluriel) et (Mo- Aka singulier) et se reconnaissent tous comme «Bisi ndima» qui veut dire les « Hommes de la forêt ».

L’histoire des autochtones du nord Congo dans sa généralité avant la pénétration coloniale, n’a jamais constitué par le passé une priorité de recherche pour les Occidentaux à cause probablement de sa position se situant dans une époque sortie de la mémoire et l’absence d’une écriture à cette époque.

Le livre n'est pas disponible au Congo. Pour quelles raisons ?

BK : Votre question est très pertinente. Il serait publié au Congo-Brazzaville si j'avais un soutien multiforme (logistique, finances, parrainage, maison d'éditions disposée). Ou si peut-être mon ouvrage avait une portée politique. J’ai contacté des éditeurs locaux mais j’ai chaque fois échoué…L'un des rares éditeurs de Brazzaville me répondra, par mail, je cite : « Un document soumis, même agréé par le comité de lecture ne voudrait pas dire qu'il sera obligatoirement publié». Aujourd'hui, mon insistance et mon désir d'aller toujours de l'avant viennent de payer. C'est donc aux ÉDITIONS ÉDILIVRE en France à Paris que je viens de publier cet énorme travail de 560 pages.

Qu'est ce qui vous a motivé dans l'écriture de cet ouvrage ?

BK : Un peuple sans passé oral ou écrit, ressemble à une civilisation morte avec aucune trace indicative de sa vie antérieure. Grâce à l’écriture, j'ai essayé de ressusciter et/ou de retracer la civilisation immémoriale des peuples du nord Congo à base de leur tradition orale. La mondialisation, le développement et la modernité sont en train d’écraser la tradition, les langues et les cultures de certaines civilisations africaines. Partout le changement est profond et rarement heureux.  Et à ce titre, le peuple autochtone paye un lourd tribut.

Comment souhaitez-vous vous faire entendre sur cette problématique si aucune publicité n'est faite autour de l'ouvrage ?

BK : À travers certaines contributions, articles, interviews comme celle-ci, le public pourrait  comprendre comment les liens de parenté et l’appartenance à une famille, à une communauté ou à une civilisation prévalent sur ces catégories comme expressions et représentations identitaires.

On vous sait très instruit à la question des autochtones. Comment trouvez-vous l'intégration de cette communauté au Congo ?

BK : L’intégration consiste à recommencer un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui au nord Congo, en souscrivant au peuple autochtone d’établir avec le Congo Brazzaville des relations nouvelles concordant aux évidences d’aujourd'hui. Si l’accession des autochtones aux responsabilités demeure discutable et nécessite être accrue par des attitudes volontaristes, il n’en reste pas moins que la participation des autres communautés à la vie du pays lui est indispensable. Il est aujourd’hui nécessaire de poser les nouvelles bases d’un patriotisme en vers le Congo émergent à l’horizon 2025, permettant au premier peuple de composer avec les autres peuples qui y vivent une seule et unique société congolaise pour donner forme à notre destin collectif.

Avez-vous l'impression que la loi sur les populations autochtones a changé quelque chose dans la vie de ces communautés ?

BK : La promulgation de la loi 5-2011 du 25 février 2011 par le gouvernement est une agrafe désormais de l’organisation politique du Congo favorisant les moyens de l’émancipation des autochtones en tant que composants à part entière comme le sont les bantous. La pleine reconnaissance de l’identité autochtone conduit à émettre le statut traditionnel et ses liens avec le statut civil des personnes de droit commun, à prévoir la place des délégués autochtones dans les institutions, particulièrement par l’entrée au Sénat et à l’Assemblée nationale.

Le partage des compétences par les institutions congolaises entre Bantou et Autochtone signifiera la gouvernance partagée. Elle sera graduelle. C’est-à-dire qu’on accompagnera les autochtones dans leur apprentissage avant de les laisser faire tout seuls.

Les autochtones doivent recevoir de l’aide du gouvernement, en termes d’assistance technique et d’éducation et des investissements essentiels.

En dehors de l'écriture, que faites-vous au quotidien pour les peuples autochtones en termes d'actions et d'ambitions peut-être...?

BK : Je suis leur porte parole car au nord Congo, ces gens manque de culture de revendications. Me considérant comme « la voix des sans voix », j'écris pour eux car je parle leur langue. Il arrive que certains d’entre eux tombent malades. Je les conduis  à l'hôpital à mes frais. Je ne vous épargne certaines actions et expériences amères. Quant aux ambitions, continuer à écrire pour eux et un jour devenir une ONG qui les aidera à comprendre les lois liées à l'environnement, l'hygiène, la propreté, leur identité, etc.


Interview réalisée par Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

1- Bienvenu kimbembe, essayiste@DR 2- Bienvenu Kimbembe avec les autochtones de Mbandza (Likouala)@DR