Les Dépêches de Brazzaville



RCA : une lourde tâche pour la première femme centrafricaine chef d'État

Les votes des parlementaires de la transition centrafricaine ont souri à Catherine Samba-Panza, à qui échoit dès ce 20 janvier, l’exaltante mission de conduire son pays meurtri vers le salut. La soixantaine, chef d’entreprise et maire de Bangui depuis mai 2013, elle a recueilli 75% des voix contre 53 à Désiré Kolignba, le fils de l’ancien président centrafricain. Dans ce pays livré aux milices impitoyables et qui a toujours été dirigé par des hommes depuis son indépendance, en 1960, les Centrafricains ont fait appel à une femme, espérant sans doute qu’avec ce statut de mère, elle sera le meilleur refuge pour une nation enfin réconciliée avec elle-même. Elle est attendue aux résultats.

  Aussitôt son élection annoncée, Catherine Samba-Panza a lancé un appel solennel aux miliciens qui ensanglantent le pays, afin qu’ils déposent les armes. « Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des armes », a-t-elle imploré en s’adressant aux ex-Séléka, qui avaient soutenu la prise du pouvoir par Michel Djotodia, et aux anti-balakas, reconnus proches de François Bozizé, ses deux prédécesseurs. De fait, le premier chantier sur lequel doit se pencher la nouvelle présidente de Centrafrique est bien celui du retour à la paix dans son pays. À la différence de son prédécesseur contraint à la démission, le 10 janvier, lors du sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cééac) à N’Djamena (Tchad), son accession à la magistrature de transition requiert une légitimité que la communauté internationale n’a pas tardé à saluer. Le président français, François Hollande, dont le pays joue un rôle important dans le cadre de l’opération militaire Sangaris, a assuré Samba-Panza du soutien de la France, indiquant qu’il lui revient désormais « de mener à bien la réconciliation et l'apaisement nécessaires en République centrafricaine, en vue de la tenue d'élections démocratiques ».

Restaurer l’État

Ramener la paix dans un pays plongé depuis une année dans les pires atrocités, suppose d’avoir les moyens humains, financiers et matériels pour le faire. Or sur le plan humain, notamment, la Centrafrique dont l’État a cessé de vivre depuis, n’a plus une armée, une gendarmerie et une police capables de sécuriser sa population. D’où la nécessité pour la nouvelle présidente de transition d’œuvrer à la reconstitution de ce qui reste de la force publique centrafricaine. Elle pourrait pour cela compter sur l’appui déclaré des Français, présents sur le terrain avec 16.000 hommes, qui seront rejoints par 1.000 autres soldats de l’Union européenne. Elle devra tout naturellement prendre appui sur les forces africaines de la Mission de sécurisation de la Centrafrique (Misca), qui monteront en puissance avec des effectifs qui passeront de 4.400 hommes aujourd’hui à 6.000 dans un proche avenir. « Avec l’arrivée des unités en provenance du Rwanda, et de celles envoyées par la République démocratique du Congo, la Misca sera en mesure de mieux conduire ses opérations », déclarait récemment le président congolais, Denis Sassou N’Guesso, médiateur dans la crise centrafricaine, au sortir d’une audience, à Paris, avec son homologue français François Hollande. Il restera aussi à surveiller des influences extérieures qui ne seront pas de nature à consolider le retour à la quiétude dans ce pays. Le cas du Tchad a été abondamment cité les jours précédant la chute de Djotodia, mais peut-être tombait-on simplement dans un procès d’intention, ainsi que les autorités tchadiennes elles-mêmes s’en défendaient.

L’aide extérieure ne suffit pas

Comme lors de la tumultueuse transition conduite par Michel Djotodia et le Premier ministre Nicolas Tiangaye, le problème centrafricain ne se limite pas seulement à l’aide que ses partenaires européens ou africains doivent lui apporter ou à une quelconque ingérence de ces derniers. Le problème se situe dans l’organisation même de la transition, de telle sorte que les dirigeants choisis mutualisent leurs efforts au lieu de se neutraliser insidieusement. Ceci pose la sempiternelle question du choix des hommes. « Il ne faut pas que la présidente de transition tombe dans le clientélisme, ce sera une erreur grave », faisait remarquer aux Dépêches de Brazzaville une source contactée ce 20 janvier sur place à Bangui. Des inquiétudes justifiées quand on sait que dans la situation actuelle de la Centrafrique où tout est prioritaire et où la paupérisation a gagné du terrain, les appétits peuvent être inextinguibles à la fois parmi la population démunie qui attend le minimum mais aussi parmi les dirigeants pour qui, gagner un poste ministériel peut être synonyme de bénéfice personnel. Des griefs de ce type avaient été portés contre l’équipe sortante par les chefs d’État de la Ceeac, qui dénonçaient la multiplication de missions à l’extérieur par des ministres qui ne semblaient en rien se soucier de la situation du pays.

Catherine Samba-Panza est donc une femme avertie qui pourrait capitaliser sur sa connaissance de la gent politique centrafricaine, et aussi sur sa courte mais sans doute édifiante présence pendant sept mois à la tête de la mairie de la capitale de son pays. C’est lorsqu’elle aura mieux choisi les hommes et les femmes qui l’entoureront qu’elle recevra ce qu’elle demandera à ses partenaires : une assistance plus accrue aux familles massées dans des camps de déplacés, et qui sont appelées à terme à regagner leurs domiciles ; une mobilisation plus effective de l’aide financière afin d’aider le pays à se restructurer, et un accompagnement soutenu pour sortir du régime d’exception par l’organisation apaisée des élections législatives et présidentielles dans un délai raisonnable.

Première femme centrafricaine à exercer à la tête de son pays, Catherine Samba-Panza, qui bénéficie du soutien de ses compatriotes ainsi que l’ont prouvé les suffrages exprimés en sa faveur ce 20 janvier, fera la fierté de la femme d’Afrique centrale si elle parvenait à accomplir sa mission avec succès. Il faut rappeler que la sous-région a connu une expérience proche lorsque Rose Francine Rogombé, présidente du Sénat gabonais, fut propulsée au sommet de l’État, de juin à octobre 2009, après le décès du président Omar Bongo-Ondimba. Cela ne s’était pas mal passé.


Gankama N'Siah