Les Dépêches de Brazzaville



Rites et traditions : le Kiebe-Kiebe face au défi d’ouverture


Organisé autour de deux sous-thèmes orientés, l’un sur les différentes expressions du Kiebe-Kiebe et l’autre sur son anthropologie sociale et culturelle, le débat placé sous la modération de Camille Bongo, personne-ressource, a eu le mérite de montrer les défis de cette danse initiatique face à un monde de plus en plus ouvert.

Ce, d’autant plus que les communications présentées ce jour au musée de N’Gol’odoua et le débat qui s’en est suivi ont illustré toute la richesse de cette danse aux multiples facettes. En effet, à ceux qui ont pu franchir la barrière du secret qui l’entoure, le Kiebe-Kiebe se révèle, en fin de compte, comme une école de formation des élites et d’apprentissage de la vie dans ses dimensions physique et spirituelle.

Dans leur sanctuaire désigné « kinda », les initiés appelés à franchir différents degrés de maturation, font face à diverses épreuves ; ils doivent donner la preuve de leur courage et leur dextérité, mais également attester de leurs hautes capacités morales et éthiques, avant de mériter quelque titre de la hiérarchie. Ils en sortent, en plus, dotés d’une excellente connaissance de métiers artistiques et artisanaux. D’où, l’éloge fait par Pr Grégoire Léfouoba, un des intervenants du débat, qui a salué la finesse des peuples praticiens du Kiebe-Kiebe. « Les mbosi, koyo et tegué, a-t-il reconnu, sont parmi les rares peuples en Afrique à avoir élevé leur art (folklore) au niveau éthique. Cela s’appelait la timocratie dans la Rome antique ».

Mais, parmi les questions qui ont taraudé les esprits dans la salle : doit-on continuer avec un Kiebe-Kiebe réservé aux seuls jeunes-gens habitant les contrées où il est pratiqué ? Doit-on l’ouvrir davantage aux jeunes des villes et d’autres contrées ?

De nombreux intervenants, parmi lesquels on pouvait reconnaître le secrétaire général de la mairie de Brazzaville, Abraham Ibela, l’anthropologue Daniel Isaac Itoua, le philosophe Didier Ngalebaye, l’ancien conseiller du chef de l’Etat Jean Oba Bouya ou le journaliste Christophe Ossango ont eu des vues divergentes. Entre les partisans du mystère entretenu et ceux qui ont fustigé une espèce d’égoïsme dans un monde plus ouvert, où le dialogue des cultures est le maître-mot, le fossé n’a eu de pont que la courtoisie des discours.

Dans ce décor et à juste-titre, Edith Itoua, conseillère du chef de l’Etat à la diaspora demandait, quant à elle, des explications sur l’interdiction faite aux femmes d’accéder à l’initiation au Kiebe-Kiebe. La réponse n’échappait pas à l’esprit qui prévalait dans ce colloque. « En milieu mbosi, une intervention de femme suscite toujours une attention inhabituelle. On lui accorde même de tenir le balai sans être initié à Otwère (la judicature, Ndlr) », répondait en substance le modérateur de la séance pour dire qu’il ne s’agit pas de machisme.

Bref, beaucoup de choses ont été dites sur le Kiebe-Kiebe, y compris sur son origine. Est-il issu d’un mystère originel vécu dans la contrée de Boukouélé, des milieux tégués ou des peuples autochtones atswa ? La pertinence du colloque a été d’ouvrir ce débat, baliser les pistes de discussion et l’avènement du musée de N'gol’odoua est une étape importante vers la pérennisation de cette danse initiatique comme le rappelait Lydie Pongault, conseillère du président de la République et cheville ouvrière de la création dudit musée.

À l’instar du représentant spécial du chef de l’Etat, Théophile Obenga et du directeur général du Centre international de civilisations bantoues, Manda Tsebwa, elle a incité les universitaires et chercheurs à s’approprier cet espace, soutenir l’idée de mise en place d’un fonds documentaire viable et l’organisation prochaine d’un colloque scientifique international dédié au Kiebe-Kiebe.


Thierry Noungou

Légendes et crédits photo : 

Abraham Ndinga Mbo et Yvon Norbert Gambeg ont dû répondre à plusieurs interrogations