Les Dépêches de Brazzaville



Santé publique : le déficit en médecins spécialisés freine l’essor du secteur


Le Congo compte actuellement un peu plus de 230 médecins spécialisés. Un nombre insignifiant au regard du ratio établi par les standards et qui illustre la faible politique de recrutement et de formation du personnel de santé depuis plus d’une vingtaine d’années. La situation est préoccupante, car si le CHU de Brazzaville prend la part du lion avec une centaine de médecins, les hôpitaux de Loandjili et A.-Cissé de Pointe-Noire et celui de Dolisie avec chacun de 15 à 25 spécialistes, on comprend aisément pourquoi les autres départements sont déficitaires en médecins. À Ouesso, par exemple, un seul spécialiste exerce pour toute la ville. Même situation pour la ville de Gamboma, dans les Plateaux, réputée pourtant comme un carrefour important, où l’on note la présence d’un seul spécialiste. La situation est grave, car en 2014 il est prévu 494 départs à la retraite du côté du personnel soignant. Dans le lot, une bonne partie de médecins spécialisés dont la majorité avoisine aujourd’hui les 60 ans. Si les effectifs globaux du personnel de santé sont inférieurs à 15 000 pour le pays, et s’il faut noter chaque année entre 400 et 500 départs à la retraite, sans qu’il y ait en revanche de véritable politique de recrutement et de formation, la situation risque d’empirer.

La formation et les bourses d’études confrontées à l’absence d’un plan concerté

Tant quantitativement que qualitativement, le besoin en ressources humaines est évident. Depuis plusieurs années, la ligne budgétaire destinée à la formation des agents n’est pas tenue par le ministère de la Santé. Elle se trouve au ministère habilité, dont le travail devrait logiquement se faire en concertation avec les agents de l’Enseignement et des Finances. Ce qui est sûr, c’est que l’État ne finance plus depuis le début des années 1990 les bourses de spécialisation. À l’époque, outre la politique publique, les agents bénéficiaient de l’appui de partenaires, notamment de l’Agence française de coopération, de l’OMS, de l’Union européenne pour financer les bourses. À l’ère du communisme, par ailleurs, avec les rapports de coopération avec des États comme Cuba et l’Union soviétique, le Congo envoyait des étudiants en formation. 

La situation a changé. Aujourd’hui, sur les 30 généralistes que forme la faculté de médecine chaque année, environ 20 vont a l’étranger à leurs frais pour se former. Ils y restent pour la plupart du temps parce que le recrutement de la fonction publique n’est pas automatique. Ce sont eux qui constituent ce qu’on appelle désormais la diaspora médicale. Et il est difficile de convaincre un cadre parti à propres frais de revenir servir le Congo, surtout lorsque les conditions ne sont pas optimales. Ceux qui terminent leurs études à la faculté des sciences et qui n’ont pas les moyens de financer leur spécialisation végètent souvent dans des cabinets médicaux avec l’espoir de partir un jour.

Pas de recrutement pour 2012, déclaré année de la santé

Alors que l'on dénonce depuis des années le déficit des personnels de santé, en 2012, déclarée année de la santé, aucun recrutement n’a été fait par le ministère de la Fonction publique. Les dossiers traités, selon des sources proches du département des ressources humaines de ministère de la Santé, sont ceux déposé entre 2010 et 2011. Quels sont les quotas du ministère de la Santé en 2012 et 2013 ? Cette question devrait faire l'objet d'une meilleure communication entre les ministères qui doivent faire le point chaque fin d’année avant les conférences budgétaires, estiment les spécialistes. Dans ce cadre, souligne-t-on, il s’agira, en plus des cadres locaux, de faire en sorte que ceux de la diaspora qui veulent rentrer au pays soient immédiatement recrutés. Plusieurs sont rentrés, selon la direction générale de la Santé, mais ils ne sont pas recrutés par la Fonction publique. Une situation qui pourrait démotiver ceux qui espèrent rentrer pour servir le Congo à la suite de l’appel lancé par le chef de l’État. Le souhait, fait-on savoir, est que ces médecins soient vite insérés en obtenant quelques faveurs de réinstallation.

Au-delà de l’engagement et des bonnes intentions qui sont visibles, un plan pluriannuel de formation s’impose pour répondre au besoin de spécialistes, estime le professeur Alexis Elira Dokekias, directeur général de la Santé.  Cette situation, selon lui, fait appel à une concertation entre les différentes administrations qui participent au processus. Ce sont les ministères de la Fonction publique, de la Santé et des Finances : « Car il ne s’agit pas de former sans plan, car dans certaines disciplines on constate une pléthore de spécialistes. La problématique de la formation des ingénieurs biomédicaux se pose avec acuité, puisque les hôpitaux en construction seront équipés en matériels modernes. Dans ce registre, nous observons également une pénurie de pharmaciens. C’est pour cela que nous demandons au ministère de l’Enseignement supérieur d’ouvrir un module pharmacie a la faculté des sciences. »

La construction de nouveaux hôpitaux et centres de santé nécessite un personnel formé

Le chef de l’État a pris des engagements pour qu’on puisse ériger dans chaque chef-lieu de département un hôpital général. Ce qui justifie des services techniques performants. Cette politique vise également la construction d’environ cinquante hôpitaux de base au niveau de chaque chef-lieu de district. Ce sont alors des services performants qui devront comporter un service de médecine, de pédiatrie, de maternité, de chirurgie et des services connexes. En plus de ces infrastructures, il va falloir réhabiliter, équiper et mettre aux normes près de 150 centres de santé intégré dans toute la République. Voilà qui nécessite du personnel !

Dans ce programme gigantesque, il est prévu la construction de centres spécialisés, a l’instar de l’hôpital Blanche-Gomez mères et enfants, dont le deuxièmevolet est en cours de finition. L’hôpital général d’Oyo, un autre centre spécialisé presque terminé, prodiguera des soins de santé secondaires, et une partie sera consacré aux soins de santé tertiaires spécialisés dans le domaine de la chirurgie du cœur, la chirurgie de la poitrine, du cerveau, la dialyse et d’autres prestations importantes. L’État va également construire et équiper un laboratoire central de contrôle de qualité des aliments, des médicaments et de l’eau.

Dans le cadre du partenariat avec des structures étrangères, il sera construit avec l’appui de certaines fondations un centre spécialisé de la chirurgie du cœur à Moukondo, au nord de Brazzaville. Confrontés à de nombreux cas d’AVC, le Congo construit des unités neurovasculaires pour prendre en charge ces pathologies. Ces unités sont en cours de construction à Brazzaville, au CHU, et à l’hôpital général de Loandjili. Dans le même élan, un centre de traitement d’insuffisance rénale et des centres d’hémodialyse sont en cours d’édification au CHU de Brazzaville. Le prochain module sera construit à l’hôpital A.-Cissé à Pointe-Noire. Un centre national de référence de la drépanocytose est en cours de réalisation au CHU de Brazzaville. Pendant que le secteur public se développe, le secteur privé également suit le cours. Bientôt le Congo sera doté de formations sanitaires performantes et spécialisées, mais qui vont les animer ?

Construire un hôpital en tenant compte de la dimension formation

En attendant un recrutement maximal de médecins et une vraie politique concertée de formation, quelques stratégies sont mises en place. Pour l’hôpital général d’Oyo par exemple, 15 personnes sont déjà en formation au Maroc en attendant son ouverture. Ce sont des chirurgiens du cœur, du cerveau, des os, de l’appareil urinaire. « Parmi eux, un est déjà rentré. Il s’agissait, dans ce cadre, de convaincre l’opérateur des travaux de l’hôpital, la délégation général des Grands Travaux, pour que la construction s’accompagne d’une formation. C’est ce qui justifie cette anticipation, sachant que la formation de spécialisation dure de 4 à 5 ans », explique le professeur Alexis Elira Dokekias.  Mais avant 2014, si l’hôpital est inauguré, en attendant l’entrée des médecins en formation que fera l’État ? « La construction d’un hôpital devra désormais tenir compte de la dimension de la formation », suggère-t-il.

Selon des informations recueillies au ministère de la Santé, des négociations seraient en cours entre ce département et celui de la Fonction publique et des Finances pour permettre à ce qu’une fois la formation terminée, les jeunes médecins soient directement recrutés et affectés dans les hôpitaux. Bonne intention, que l'on espère voir se concrétiser. Entre-temps, la direction générale de la Santé, qui a mandat de contrôle technique et administratif des hôpitaux, en dehors du CHU qui est sous tutelle, a également mis en place une stratégie. Elle consiste à demander aux hôpitaux d’avoir un plan de formation des cadres sur leur budget de fonctionnement. Ainsi, les médecins formés par les hôpitaux y reviennent pour prendre fonction. Le CHU, avec ses 600 lits et ses 2 000 agents,  bénéficiant de sa personnalité morale, a démarré cette politique il y a plus de sept ans, et les cadres en formation au Maroc et Sénégal sont en train de rentrer progressivement. Pour les autres hôpitaux qui ne peuvent pas recruter, ils sont obligés de passer par des contrats de prestation avec le personnel. Toutefois, une question reste également au cœur de ce challenge : la motivation.

Quand déficit qualitatif rime avec rémunération

Après sept ans d’études, le médecin était payé jusqu'à il y a quelques mois 90 000 FCFA. Ce salaire de base est passé aujourd’hui à près de 200 000 FCFA. Avec les primes et autres avantages, il est possible qu’un médecin gagne un peu plus. Cependant, pour la plupart des spécialistes interrogés, ce salaire reste insuffisant, car dans d’autres catégories professionnelles, pour trois ou quatre années d’études, on peu gagner deux à trois fois plus.

Depuis l’année dernière, en effet, le personnel de santé perçoit une augmentation de salaire de base sur le point indiciaire. Cette année, l’arrêté interministériel devrait consacrer des primes et indemnités. Ces augmentations sont importantes, car à l’intérieur du pays on assiste souvent à l’abandon de postes en l’absence, sans doute, de motivation. Il faudrait que le personnel qui accepte d’aller travailler dans un CSI à l’intérieur d’un village soit encouragé. Cela appelle les autorités à régler progressivement la situation de rémunération du secteur de la santé dans sa globalité, si l’on veut tenir le pari des Objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015. À cela s’ajoute la question cruciale de la couverture médicale, car même si les prestations de soins de santé sont améliorées, les Congolais attendent l’assurance maladie pour mieux se soigner. Car si l’offre de soins augmente, les indicateurs économiques vont s’améliorer. Les Congolais en bonne santé passeront assurément à une meilleure productivité.   

 


Quentin Loubou