Les Dépêches de Brazzaville



Tati Loutard et l'Amérique


Le faisceau de signes

Évacué après une très rapide détérioration des « vitaux », l’homme d’État fut accueilli à l’hôpital américain de Neuilly, près de Paris, alors que depuis près de sept années, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, il se faisait soigner au Val-de-Grâce (un contrôle par semestre). Ce changement fut dicté par un pragmatisme lié aux circonstances : l’hôpital américain n’était certes pas le plus « compétent », mais le plus « disponible », face à l’urgence ! Il s’agit alors de conclure que ce fut le fait du hasard, plutôt qu’un choix délibéré.

Une année avant, jour pour jour, une conférence sur l’œuvre de Jean-Baptiste Tati Loutard avait été donnée, dans le cadre du Centre culturel français de Kinshasa, à la Halle de la Gombe (4 juillet 2008, L’Œuvre de Jean-Baptiste Tati Loutard, par R. Safou). Et l’adaptation théâtrale du recueil de nouvelles Fantasmagories par Antoine Yrrika rencontrait en même temps un public enthousiaste dans une atmosphère de veillée funèbre.

La lutte au cœur

Au début des primaires de la campagne présidentielle américaine, aucun observateur sérieux ne peut parier sur d’éventuelles chances de quelque candidat démocrate que ce soit, en dehors de Hillary Rodham Clinton, pour l’investiture officielle. Et cela ne serait-ce que parce qu’elle est la seule à pouvoir incarner les chances présidentielles des démocrates. C’est, du moins ce qui apparaît à tous les observateurs, relayés en cela (ou peut-être, influencés !) par les instituts de sondage. Nous sommes en 2008, et, dès la fin du mois de janvier, il apparaît qu’un jeune sénateur démocrate noir, inconnu du grand public jusque-là, se met en tête de disputer ce leadership à l’ex-first lady. Son apparition dans la campagne vient alors bouleverser toutes les données. Il s’agissait jusque-là, avec Hillary Clinton, de la première candidature féminine sérieuse avec des chances probables de succès, dans toute l’Histoire des États-Unis. Avec l’entrée en scène de Barrack Obama dans le rôle d’outsider, l’on a d’abord l’impression que les démocrates veulent se faire hara-kiri, parce que, en face, un ancien héros de la guerre du Vietnam fait figure de présidentiable plutôt crédible pour faire oublier les années Bush. Pourtant, cette candidature d’un « Africain-Américain » – selon le nouveau lexique politiquement correct dans la communauté noire – ne sera pas qu’un feu de paille plus ou moins médiatisé pour amuser la galerie, mais le début d’une ère nouvelle qui va se révéler au fil des jours comme l’irréversible réalité sociopolitique d’une nouvelle Amérique, celle, précisément, dont avaient rêvé Martin Luther King, Malcom X ou James Baldwin. Cette course pour l’investiture devient le feuilleton qui va tenir en haleine la planète entière, car au fil des jours, les chances de la première présidentiable la plus crédible s’amenuisent pour laisser peu à peu place aux chances du premier présidentiable noir le plus redoutable que l’Amérique ait jamais connu en campagne électorale. Ceux parmi les démocrates qui ont du flair ont déjà compris que le vent avait tourné et que l’histoire allait s’écrire désormais avec ce « sang-mêlé » fils d’un Kényan et d’une Américaine blanche. Et cela, au grand dam de ceux qui, comme moi, espéraient voir, enfin, une femme arriver à la Maison-Blanche. La confortable majorité des grands électeurs qu’elle avait commença à s’effriter et ce fut, ensuite, comme un raz-de-marée dans le camp démocrate. Avant eux, Jean-Baptiste Tati Loutard, dès les premières heures de la candidature à l’investiture, n’avait plus d’yeux que pour cet Obama dont j’avais eu beau soutenir qu’il n’avait aucune chance de vaincre un candidat blanc dans une Amérique blanche. Sans succès. Il ne s’agissait plus, pour lui, d’adopter une attitude rationnelle devant ce qui s’annonçait comme un grand moment de l’histoire, tout au moins au niveau des symboles.

En janvier de l’année suivante, en effet, Barrack Obama était intronisé à la Maison-Blanche en tant que président des États-Unis d’Amérique. Et Tati Loutard avait donc eu raison de croire, non pas tant en de quelconques chances du candidat Obama, mais à la dynamique de l’histoire. Car pour lui, les temps étaient venus où l’on devait accepter cette sentence de l’un de ses premiers poèmes : « Le sang de l’esclave est devenu bleu. Dans les veines de la mer. »


Raphaël Safou-Tshimanga